Le théâtre d’opérations nord-africain n’est pas le plus connu de la seconde guerre mondiale et il se résume généralement à une série d’aller-retours entre le mythique Rommel et les britanniques, jusqu’à la défaite finale du premier. C’est bien évidemment plus compliqué que cela. J’avais déjà lu un peu sur le sujet, mais essentiellement des ouvrages se concentrant sur les opérations militaires. Voici un livre qui ambitionne d’aller au-delà.
L’ouvrage nait d’une série de rencontres entre historiens, organisées avec l’aide de l’École française de Rome. L’un des objectifs était de permettre de confronter les approches des scientifiques de différentes nationalités sur le sujet. Ainsi que d’en aborder tout ce qui dépasse le cadre des opérations militaires pures : la logistique, la politique, le renseignement, la vie des civils, etc.
Et je trouve que c’est bien réussi à ce niveau. Les opérations militaires ne sont qu’évoquées et ne sont que peu décrites. Alors, ça peut éventuellement constituer un frein à la lecture pour celleux qui ne connaissent pas vraiment la chronologie des batailles, sièges et autres de la seconde guerre mondiale dans cette région. Cependant, je ne suis pas sûr que ce soit rédhibitoire, le propos de l’ouvrage étant sur tout le reste. Et il y a de la matière.
Les contributeurices abordent pas mal de domaines, avec une certaine variété. On a ainsi un éclairage sur le pourquoi et le comment du débarquement allié en Afrique du Nord fin 1942, une opération qui aurait très bien pu ne jamais voir le jour. On voit les problèmes de commandement du côté de l’Axe, avec un Rommel en théorie subordonné à des italiens, mais qui les court-circuite en permanence avec Berlin. Un soucis qui n’est pas totalement absent du côté alliés, le Royaume-Uni engerbant des unités australiennes, sud-africaines, etc. qui répondent aussi à leurs gouvernements réciproques. On y parle aussi de l’aspect colonial, car les opérations militaires ont eu lieu dans des régions colonisées ou vassalisées d’une façon ou d’une autre (comme l’Égypte, théoriquement indépendante). Un thème aussi présent par le biais des troupes employées par une partie des belligérants (France, Royaume-Uni et dans une moindre mesure Libye), ainsi que par les soutiens aux mouvements indépendantistes ou au contraire leur répression.
L’ouvrage revient aussi sur d’autres mythes entretenus pendant fort longtemps après guerre, et parfois encore existants chez une partie du grand public. Comme la faiblesse des troupes italiennes, ce qui est en partie faux, et comment cette légende arrangea finalement bien les italiens après-guerre, pour se présenter quasiment comme des victimes des allemands au même titre que les autres. Ou encore la prétendue « guerre sans haine » qui aurait été mené sur ce théâtre d’opération, principalement par opposition avec le front de l’Est. Les contributeurices de l’ouvrage montrent bien que c’est faux. Si la violence et les crimes n’ont pas atteint le niveau qu’ils ont connu face à l’Union Soviétique, ils sont cependant loin d’être absents de cette région. Qu’il s’agisse des violences sur les civils en général, celles visant des catégories de population spécifiques, notamment les juifs et les non-blancs, ou du traitement des prisonniers, la guerre dans le désert a largement son lot en la matière.
Il y a encore d’autres aspects qui sont traités, que ce soit les commandants militaires, la vie civile, le renseignement ou enfin la mémoire du conflit, très variable d’un pays à l’autre.
Voici donc un ouvrage assez riche. Du fait de sa construction, il n’est pas exempt de quelques répétitions, mais ça ne m’a pas vraiment posé problème. D’autant plus que chaque partie traitant un sujet en particulier, il n’est pas incohérent d’y voir rappelé des éléments d’autres parties pour appuyer le propos, doublement utile car c’est le genre d’ouvrage que l’on est susceptible de lire par petits morceaux. On a là un livre qui parle d’histoire militaire mais qui arrive à le faire en parlant finalement très peu de bataille et ça n’en pas moins intéressant pour autant. Une belle preuve que l’on est bien sorti de l’histoire-bataille et c’est tant mieux.

La guerre du désert – 1940-1943
dirigé par Nicola Labanca, David Reynolds & Olivier Wieviorka
éditions Perrin / Ministère des Armées / École française de Rome
288 pages, plus notes & index (grand format)
disponible en numérique chez 7switch