Le maréchal Model, de Daniel Feldmann

Il y a quelques temps, j’ai chroniqué ici une biographie du maréchal Von Rundstedt. Il se trouve que j’ai en stock d’autres biographies de généraux allemands de la seconde guerre mondiale. Je suis donc allé en piocher une autre : celle du maréchal Model.

L’ouvrage commence par une scène précise de la vie de Walter Model, moins d’un an avant sa mort. Une scène qui va bien résumer tout un aspect du personnage que l’on va retrouver par la suite dans le texte : son hypocrisie et son absence de scrupule.

Au contraire de Von Rundstedt, Model n’est pas issu d’une famille de noblesse, pas plus que d’une lignée de militaires. Rien ne semblait donc le prédestiner à cette carrière et l’auteur ne peut pas expliquer ce choix : les sources ne permettent pas de privilégier une hypothèse. D’autant plus que ce choix de carrière est plus tardif que pour la majorité des futurs militaires qui intègrent jeune une école de cadets.

Pendant la première guerre mondiale, on suit le parcours d’un Model qui fait un peu de yoyo, ce qui l’amène à côtoyer les hautes sphères de l’état-major général. On suit ensuite son parcours pendant l’entre-deux-guerres, où comme beaucoup de militaires il essaie de se préserver un poste dans une armée en forte réduction pendant la République de Weimar. L’arrivée au pouvoir des nazis offrent de nouvelles perspectives pour les militaires. Mais c’est le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, et en particulier l’opération Barbarossa à partir de juin 1941 qui permet à Model d’entamer enfin son ascension au sein des généraux d’Hitler.

D’une division, il passe ensuite à un corps d’armée puis une armée avant de diriger différents groupes d’armées. L’auteur montre bien son parcours et ses nombreux changements de poste, sans que l’on soit perdu. On voit de quelle façon Model se forge une réputation de « pompier d’Hitler », envoyé colmater les brèches des différents fronts, d’abord face aux soviétiques, puis face aux britanniques et aux américains.

Feldmann explique bien la façon dont le maréchal s’y prend pour contrer les offensives adverses… ou les encaisser le mieux possible tout en reculant. L’auteur analyse les résultats et essaient de faire la part des actions de Model et des autres facteurs : si l’offensive Bagration finit par s’arrêter, c’est surtout d’épuisement logistique, prévu par les soviétiques. Il en ressort que si l’homme possède de véritables qualités en matière de défense dans des contextes compliqués, notamment dans le saillant de Rjev, il n’est pas non plus un magicien.

On voit aussi que ses actions se font souvent au détriment de ses collègues : Model n’hésite pas voler littéralement des unités militaires à ses voisins pour son usage propre. Feldmann montre que le maréchal minimise régulièrement ses moyens et exagère ses besoins pour essayer de mettre la main sur un maximum de troupe. Les réussites de Model se font aussi à un coût humain et matériel très élevé. Si lors de Barbarossa il accomplie une grande chevauchée à la tête de division blindée, cette dernière finit littéralement essorée. Les outils qu’il utilise ne sont généralement plus aptes à grand chose une fois qu’il en a fait usage. En de multiples occasions, Model montre aussi qu’il est clairement quelqu’un qui pense « solo » plutôt que « collectif ».

L’auteur montre à plusieurs reprises que le caractère compliqué du personnage lui a attiré plus d’une inimitié. Et postérieurement à la guerre, nombreux seront ses anciens collègues à utiliser des formules détournées pour en parler, voir carrément l’ignorer dans leurs souvenirs.

Feldmann s’intéresse aussi au lien entre Model et les crimes de guerre de l’armée allemande. Comme tous les officiers généraux, notamment ceux servant sur le front de l’Est, Model ne pouvait bien sûr pas ignorer les crimes commis par les troupes régulières et les Einsatzgruppen. Mais dans son cas, son implication va clairement au-delà. Il n’a semble-t-il jamais agit pour faire cesser les crimes de guerre quand des soldats sous ses ordres en commettaient. Il a surtout émis des ordres visant sans ambiguïté à infliger souffrance et destruction sur les civils. Le point vraiment singulier de Model est d’avoir émis à plusieurs reprises des directives criminelles en avance sur celles imposées par Berlin. Au point que l’auteur émet l’idée qu’il ait pu servir de source d’inspiration pour la direction du régime nazi.

L’auteur conclu en faisant une évaluation du talent militaire de Model, au-delà de la légende de pompier efficace qui a pu se créer autour de lui. Et je suis d’accord avec lui sur le fait que le maréchal possédait des capacités tactiques indéniables, mais parfois à un coût humain et matériel exorbitants. Quand à l’échelle stratégique, on pourrait presque nier la compréhension du sujet par Model, tant il semblait incapable de « jouer en équipe ». La conclusion se termine sur le rapport au nazisme et les crimes de guerre et formule que Model était clairement un général nazi modèle (désolé, j’ai résisté tout le long de la chronique avec ce jeu de mot débile, il fallait que ça sorte).

Feldmann propose aussi une bibliographie, des notes et une très intéressante annexe sur les sources et les biographes précédents de Model, avec un regard critique sur les travaux antérieurs. L’ouvrage dispose aussi de quelques cartes qui permettent de comprendre les mouvements et batailles que décrit l’auteur.

C’est donc une biographie pas très longue, avec une écriture qui se lit bien. Et le sujet est intéressant. L’auteur est intéressé par son sujet, sinon il n’aurait pas consacrer tant de temps à écrire ce livre, mais n’est pas du tout happé par sa légende et sait bien le décortiquer. Le regard sur les qualités militaires, notamment en essayant d’évaluer l’effet réel de Model dans le résultat des batailles auquel il participe, me parait un atout indéniable de cet ouvrage. J’avoue qu’il faut être un minimum intéressé par les généraux allemands de la seconde guerre mondiale pour se lancer dans la lecture de ce genre d’ouvrage, mais si c’est le cas, celui-ci est une bonne pioche.

Le maréchal Model
de Daniel Feldmann
éditions Perrin
410 pages, dont bibliographie, notes et index (grand format)

disponible en numérique chez 7switch

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