Dans la catégorie des livres qui sont restés très longtemps dans ma bibliothèque avant que je ne me décide à les lire, Autant en emporte le temps, uchronie de Ward Moore, se plaçait plutôt bien. Ce ne sera plus le cas puisque je me suis enfin décidé à m’en occuper.
Bien que né en 1921, Hodge Backmaker est en 1877 quand il écrit son récit à la première personne. On va donc suivre son parcours pour voir comment quelqu’un peut raconter sa vie plus de quarante ans avant sa naissance.
Dès la première page, il y a un point sur lequel il n’y a vraisemblablement pas de mystère : le narrateur est un voyageur temporel et on se doute qu’il rencontre quelques problèmes pour revenir à son époque d’origine.
Hodge commence le récit de sa vie en parlant de sa famille et il est très vite évident que la ligne temporelle dans laquelle se passe son histoire diverge de la notre : le Sud y a remporté la guerre de Sécession et prospère alors que le Nord s’est enfoncé dans une spirale infernale. Le narrateur nous fait le récit de son enfance, puis de son départ pour la grande ville et des divers revers de fortune qu’il y essuie.
J’ai trouvé ce récit très plaisant. On explore un univers alternatif que l’auteur présente bien, avec tout un tas de détails, petits et grands, qui montrent bien la différence d’avec le notre. Je n’ai pas été trop tenté de réfléchir sur la cohérence de certaines évolutions et c’est bon signe pour moi : le récit m’a suffisamment embarqué pour que je ne m’égare pas par-là. Le plaisir de lecture vient aussi des interactions de Hodge avec les diverses personnes qui vont influencer son existence.
La fin du récit m’a semblé assez prévisible, notamment du fait du point de départ du livre, mais le parcours pour y arriver est intéressant. La vie d’Hodge Backmaker frôle régulièrement la grande histoire sans jamais vraiment s’y mêler. Jusqu’au moment où le jeune homme finalement devenu historien plonge pleinement dedans. J’ai notamment apprécié le fait que l’on voit comment une panique peut se déclencher puis se propager en pleine bataille. La forme finale du récit est aussi intéressante, sur la vision de l’histoire.
L’édition française de ce roman est accompagnée d’un cahier bonus rédigé par Francis Valéry, qui parle de l’auteur, de son œuvre, et qui analyse le contexte historique imaginé dans le récit. C’est très intéressant, même si Valéry fait quelques erreurs. Il postule comme imaginaire tous les personnages que Moore liste dans son historique des présidents américains, alors qu’ils ont bel et bien existé. C’est d’autant plus dommage que si certains sont des figures assez obscures, on y trouve tout de même deux noms un petit peu connus de l’histoire américaine. D’une part Benjamin Butler, qui fut général du Nord pendant la guerre de Sécession et connu une carrière politique assez longue. D’autre part, il y a Dewey, qui s’illustra en perdant face à Roosevelt en 1944 et face à Truman en 1948. Cette dernière élection a été tellement serrée, qu’un journal s’est même trompé et a imprimé une une annonçant la victoire de Dewey (et Truman s’est fait un plaisir de se faire photographier avec). Ce ne sont que des détails dans un cahier fort intéressant, mais l’amateur d’histoire que je suis tenais à le préciser.
Bref, j’ai trouvé qu’Autant en emporte le temps est une uchronie qui fonctionne bien. J’ai apprécié le narrateur, son récit, l’univers proposé et notamment l’évolution scientifique alternative qu’on y découvre. Ça fait bien plaisir de lire ce genre de livre.
Autant en emporte le temps (Bring the Jubilee)
de Ward Moore
traduit par Jane Fillion
illustration de Stéphane Barry
éditions Denoël
320 pages (poche)