The First Collected Tales of Bauchelain & Korbal Broach, de Steven Erikson

J’ai abondamment parlé ici de la décalogie malazéenne de Steven Erikson. J’ai continué l’exploration de cet univers par le biais des romans de son co-créateur, Ian C. Esslemont. Mais Erikson ne s’est pas limité à sa première série dans ce cadre. S’il a depuis produit d’autres romans qui se passent avant, et que je finirai bien par lire un jour ou l’autre, il a aussi écrit une série de novellas centrée sur un duo de personnages secondaire de Memories of Ice : Bauchelain & Korbal Broach. A ce jour, six textes ont été publiés puis repris dans deux recueils. Je vais m’intéresser ici au premier.

Les textes sont apparemment regroupés dans ces recueils dans un ordre plus proche de l’ordre chronologique des événements que de celui de parution. Ceci étant, le premier texte, Blood Follows, serait dans cette position dans les deux cas de figures. On y voit de quelle façon Emancipor Reese va rentrer au service des deux personnages donnant leur nom au titre du recueil. On les verra d’ailleurs assez peu puisque le récit est centré sur Emancipor ainsi qu’un ou deux autres protagonistes.

L’intrigue de ce premier texte se passe dans une ville qui respire le bonheur et la joie, surtout depuis qu’un mystérieux assassin s’est décidé à tuer, si possible de façon très déplaisante, une personne chaque nuit. Voilà qui incite à ne pas trop trainer au bar avant de rentrer à la maison. La maison, c’est justement l’endroit où Emancipor n’est pas très motivé à revenir puisqu’il va devoir annoncer à sa harpie de femme qu’il est à présent sans travail, son employeur ayant eu l’absurde idée d’être le dernier client en date du mystérieux tueur nocturne. Bref, tout va à merveille dans la vie d’Emancipor et on n’imagine pas une seconde qu’il puisse se soucier de quoi que ce soit. La riante ville de Lamentable Moll est bien décrite par Erikson, qui donne vraiment envie d’aller y faire du tourisme. Entre ça et les relations avec sa femme et sa descendance, on peine à comprendre pourquoi Emancipor sauterait sur la moindre occasion de quitter la cité. Surtout si c’est pour entrer au service d’un duo de types pas franchement recommandables.

Ce premier texte est plaisant à lire. L’intrigue en elle-même ne contient pas beaucoup de surprise et l’intérêt vient plutôt de la façon dont l’auteur peint les personnages, au premier rang desquels Emancipor, ainsi que la ville où se passe l’action. J’y ai aussi retrouvé pas mal de cet humour, souvent noir, qu’Erikson sème un peu partout dans sa décalogie. On a aussi quelques évocations de ce lointain empire malazéen, un concept un peu flou pour les habitants du cru, ce que l’on constate notamment par les déformations dans les noms.

On continue avec The Lees of Laughter’s End. Cette deuxième novella se passe directement dans la continuité de la précédente puisque l’on retrouve Emancipor et ses deux maîtres à bord du Suncurl. Le serviteur n’en est pas à sa première expérience nautique puisqu’il dispose déjà d’une réputation dans le domaine maritime de porte-poisse patenté. Et cette nouvelle traversée ne ressemblera pas trop à La croisière s’amuse. Reconnaissons qu’il n’y est pas pour grand chose, quoi qu’il est tout de même celui qui a choisi pour ses maîtres ce fier esquif qui a été réparé en utilisant un peu n’importe quoi. S’inquiéter du CV de la capitaine et de son équipage n’aurait peut-être pas été une mauvaise idée non plus. Voilà ce que c’est de ne pas se renseigner sérieusement avant de partir en voyage.

Nous avons donc trois hommes dans un bateau, sans parler du chien. Enfin, pas vraiment un chien, ni même un animal de compagnie, mais une créature. En quelque sorte. Si le point de vue d’Emancipor est toujours récurrent, on voit cette fois un peu plus les deux personnages « principaux » de cette série. On aura aussi plus de points de vue parmi les autres personnages présents sur le navire. Ce qui sera l’occasion de découvrir que Bauchelain et Korbal Broach n’y ont pas le monopole de la glauquitude. De ce côté, Erikson a vraiment un certain talent pour proposer des choses qui font un peu se dresser les poils sur la nuque. Il est aussi toujours bon quand il s’agit de faire de l’humour noir et certains des protagonistes de la novella en font joyeusement les frais.

Tout comme la première novella, ce deuxième texte a finalement une intrigue assez réduite mais qui convient bien au format. Erikson permet d’en apprendre un peu plus sur ses personnages tout en proposant un récit qui fait la part belle à l’humour grinçant et avec une certaine dose d’horreur.

The Healthy Dead termine ce recueil. Ce troisième texte se passe plusieurs années après le précédent et probablement après l’apparition des personnages dans le roman Memories of Ice. Le récit démarre quelques années après le précédent. Emancipor et ses deux maîtres parcourent les contrés, passant d’une ville à l’autre en essayant de ne pas se faire virer trop vite. Leur arrivée à Quaint va avoir un certain impact sur la vie de la cité.

On bénéficie à nouveau de multiples points de vue et cela permet de profiter d’un tableau assez varié de la ville de Quaint et des évolutions apportées par son nouveau roi. Ce dernier a décidé que ses sujets devaient mourir en bonne santé (d’où le titre du texte), ce qui a pas mal de conséquences sur leur existence et est à l’origine de certaines dérives. On sent que l’auteur s’amuse pas mal à mettre en scène la façon dont la ville a basculé dans la folie sous l’effet d’une doctrine qui va en se complexifiant et que certains s’efforcent d’interpréter de la façon la plus extrême possible.

Une nouvelle fois, les deux nécromants représentent des agents du chaos qui viennent semer le désordre dans un milieu en apparence bien ordonné. J’ai d’ailleurs noté cette fois que ces deux personnages ne sont pas forcément ceux qui provoqueront finalement le plus de dégâts. En tout cas, une chose est sûre : la cité de Quaint ne les accueillera peut-être pas à bras ouverts la prochaine fois qu’ils passeront dans le coin.

Avec ces trois textes, Steven Erikson montre qu’il est capable de faire autre chose que des pavés de plus de trois cent mille mots. L’auteur maîtrise aussi le format novella comme le montre ces trois textes. Par ce biais, il peut explorer des recoins de son univers que l’on n’aperçoit pas dans les romans. C’est aussi l’occasion pour lui d’écrire avec plus d’humour. Si cette caractéristique se retrouve aussi dans sa décalogie, c’est principalement par petites touches dans quelques scènes éparses. Ici, l’humour est présent tout le long du récit et Erikson s’en sert plutôt bien. Bref, j’ai pris plaisir à lire ce recueil et je compte donc bien lire le second volume qui regroupe trois autres novellas avec les mêmes personnages.

The First Collected Tales of Bauchelain & Korbal Broach
de Steven Erikson
illustration de Steve Stone
éditions Bantam
395 pages (format moyen)

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