Resplendent, de Stephen Baxter

L’une des habitudes de Stephen Baxter est d’accompagner la plupart de ses romans d’un ou plusieurs textes courts se passant dans le même univers. Ces textes sont généralement repris par la suite dans un recueil. Dans le cas de l’univers des Xeelees, ces textes courts sont suffisamment nombreux pour être regroupés dans des recueils purement spécifiques. Trois ont été publiés à ce jour. Le premier Vacuum Diagrams accompagne la première série de romans, le Xeelee Sequence (Gravité, Singularité, Flux & Accrétion). Le deuxième, intitulé Resplendent, fait partie de la série des Enfants de la Destinée (Coalescence, Exultant, Transcendance). C’est de ce dernier dont je vais parler ici.

Resplendent fonctionne de la même façon que Vacuum Diagrams : des textes courts présentés dans l’ordre chronologique des événements et encadrés par un autre récit. Ceci accroît la sensation de cohérence de l’ensemble, déjà bien supporté par les textes eux-mêmes qui se font parfois référence les uns les autres. Je ne sais pas si Baxter stocke beaucoup de notes sur cet univers, mais après neuf romans et plus d’une cinquantaine de textes courts, il doit y avoir de quoi faire.

Le recueil est découpé en plusieurs parties, chacune correspondant à une ère particulière de cette histoire du futur. La première s’intitule Resurgence (renaissance) et s’intéresse à la fin de l’occupation Qax. Dans le premier texte, Cadre Sibling, l’humanité vit encore sous le joug des Qax. Baxter sème un poil de physique intéressante mais heureusement pas trop complexe. Ce qui est surtout intéressant dans cette nouvelle, ce sont tous les éléments que l’auteur arrive à y intégrer. On y voit comment on peut faire disparaître une civilisation, de quelles incitations on peut jouer pour obtenir la collaboration de certaines victimes, que l’on peut nettoyer des bases de données anciennes pour réécrire l’histoire, etc. Les jasofts se bercent d’excuses pour collaborer à l’élimination de leur propre espèce. Baxter fait ici la démonstration de sa capacité à glisser pas mal de choses dans un texte pas très long.

Dans Conurbation 2473, on retrouve quelques uns des éléments précédents puisqu’on y parle à nouveau de l’Extirpation. Mais cette fois, on est dans les premiers temps qui suivent la fin de l’occupation Qax. On voit surtout les disputes entre les différents régimes émergents pour prendre le pouvoir. La novella Reality Dust se passe à la même période. L’humanité continue de se dépêtrer dans ses années post-occupation Qax. Les pharaoh apparaissent comme un paradoxe intéressant : ils sont des collaborateurs de l’Extirpation mais sont peut-être les dernières mémoires de l’humanité. Le texte est globalement plus hard-science que les deux précédents, avec des réflexions sur la réalité, le multivers, etc. Bref, du Baxter qui tape un peu fort. Le dernier texte de cette partie, All in a blaze, est assez anecdotique, son seul intérêt étant de jouer avec l’idée de résurgence de la longévité extrême.

La deuxième partie du recueil s’intitule The War with the Ghosts et comme son titre l’indique est centré sur l’un des grands conflits de l’humanité au cours de son expansion à travers la Voie Lactée. Dans Silver Ghost, on verra d’abord comment l’humanité entre pour la première fois en contact avec ces fameux fantômes d’argent. La contradiction entre les deux espèces est flagrante et le conflit à venir parait inéluctable. On a une vu du but ultime des Silver Ghosts, bien loin des préoccupations d’une humanité qui s’estime mériter l’univers.

Avec The Cold Sink, on assiste à nouveau à un drame. Cette fois, l’auteur joue avec l’idée de la transformation d’un humain pour vivre dans l’environnement extrême des Silver Ghosts. L’humanité n’est toujours pas diplomate et les Silver Ghosts en sont pleinement conscients. Ce texte propose aussi un aperçu du plan des Xeelees qui créent des environnements pour préserver les autres espèces, ce qui annonce d’autres textes plus « lointains » de cet univers.

Dans On the Orion Line, on est en pleine guerre contre les Silver Ghosts. Comme précédemment, l’humanité est toujours en train d’essayer de contrôler son « histoire » et de réaliser sa destinée manifeste. On ressent à la fois l’immensité de l’expansion humaine et sa petitesse par rapport à la Voie Lactée. Baxter fait ici dans la hard-science et présente une impressionnante ligne de défense pour les Silver Ghosts. La vision de l’expansion humaine avec son économie galopante est intéressante tout comme la stratégie des Silver Ghosts pour essayer de la contrer. C’est d’ailleurs une illustration du fait qu’un conflit ne se gagne pas simplement à coup de batailles.

La guerre continue dans Ghost Wars et on assiste à un nouveau tournant, les Silver Ghosts bénéficiant d’une aide inattendue. Pas de changement du côté de l’humanité, toujours aussi désespérante avec sa volonté d’expansion permanente. Ici, Baxter nous raconte les origines des Silver Ghosts et c’est très intéressant. On voit ici que l’auteur aime vraiment creuser la diversité des formes de vie. Le conflit se termine dans le texte suivant, The Ghost Pit, un peu anecdotique mais dans lequel on fait une belle découverte dans le rayon ingénierie planétaire, une autre spécialité de Baxter.

Après la guerre contre les Silver Ghosts, une nouvelle ère s’ouvre pour l’humanité, celle de l’Assimilation. On commence avec Lakes of Light. L’histoire est en soi assez mineure mais le texte propose encore une création épatante. On y trouve aussi une petite allusion à la toute première nouvelle de Baxter, The Xeelee Flower (présente dans le recueil Vacuum Diagrams). Le texte fait surtout bien ressentir une nouvelle fois la marche implacable de l’humanité, sa foi dans son destin et son peu de considération pour le reste. Et l’on voit apparaître à l’horizon le prochain obstacle : les Xeelees eux-mêmes.

Avec Breeding GroundBaxter propose d’en découvrir un peu plus sur les étranges vaisseaux organiques Spline aperçus dans divers récits de l’univers Xeelee. L’humanité ne surprendra malheureusement pas en essayant de tirer un maximum de profit de l’affaire exposée dans le texte. Mais on voit aussi les contradictions engendrées par le conditionnement que s’impose l’espèce humaine (pas de famille, etc.) et les instincts qui continuent de se manifester. Avec les vaisseau Spline, l’auteur explore encore une piste supplémentaire pour la vie, toujours avec intérêt.

La marche implacable de l’humanité continue dans The Dreaming Mould. Encore une fois, Baxter fait preuve de créativité pour le vivant. Et encore une fois, l’humanité ne paraît pas sous son meilleur jour (c’est l’un des leitmotiv de ce recueil), même si cette fois les choses se passent en partie de façon opposée à la précédente nouvelle, ce qui est presque plus déprimant. Dans ce texte, l’auteur propose encore un environnement bien particulier et original. Je regrette un peu que ce cadre ne soit pas développé dans un texte plus long.

Cette période se termine avec The Great Game, où Baxter nous montre encore une belle anomalie dans notre univers. Le texte contient quelques références à d’autres récits du même univers, sans que ce soit gênant. Comme précédemment, on constatera que l’humanité n’est pas intéressée par la réalité, juste par la façon dont elle peut la distordre pour servir ses buts. L’espèce est toujours guidée par les doctrines d’Hama Druz et on voit ici qu’elle s’est trouvée son prochain adversaire : les Xeelees eux-mêmes. Le conflit qui s’annonce va durer plus d’une dizaine de milliers d’années.

L’ère suivante est donc celle de The War for the Galaxy. Le conflit qui oppose l’humanité aux Xeelees enflamme toute la Voie Lactée. Dans The Chop Line, on découvre les joies de la ligne de front dans cette nouvelle guerre. Les Xeelees représentent un adversaire plus coriace que les Silver Ghosts, notamment par le fait qu’ils exploitent la dimension temporelle du conflit. En effet, les déplacements supraluminiques peuvent créer des petits soucis sur le plan temporel et un vaisseau peut arriver à un endroit avant son départ. On se retrouve alors avec des situations qui peuvent ressembler à des paradoxes, mais ce n’est pas ça qui intéresse l’humanité qui y voit surtout une possibilité d’anticiper le résultat des batailles et donc de modifier le cours du conflit. Baxter exploite assez bien l’idée d’utiliser le temps lui-même comme un outil et les choix qui sont faits dans le texte découle encore de la froide logique qu’applique l’humanité à la recherche de son destin.

Dans le texte suivant, In the Un-Black, on part faire un tour dans un endroit un peu à l’écart du conflit puisqu’en marge de la Voie Lactée elle-même. On découvre une nouvelle divergence de l’espèce humaine, l’occasion pour l’auteur de jouer un peu sur le vocabulaire. Au vu des textes précédents, il n’est pas surprenant de découvrir les petites « bricoles » laissées dans des coins un peu perdus, juste au cas où, avec des être humains en guise d’outils. Cela a un côté très froid et rationnel mais Baxter arrive aussi à rendre ça fascinant.

Cette partie se termine avec Riding the Rock, une novella qui sert un peu de prélude à Exultant. La guerre à l’échelle galactique demande des moyens humains considérables, impliquant littéralement des usines à soldats. On a déjà pu voir dans les textes précédents que le personnel militaire est très jeune. C’est encore plus visible ici où l’on constate que l’armée humaine est une armée d’enfants-soldats. Ce texte a une forte réminiscence de la guerre des tranchées, avec ses taux de perte hallucinants. Un conflit auquel ont participé les deux grand-pères de Baxter et on sent bien que l’auteur essaye de faire revivre l’ambiance qu’ils ont du connaître. Dans cette novella, on trouve aussi d’autres divergences de la doctrine Druzienne, parfois tolérées parce qu’au final elles servent les objectifs de la Coalition humaine. Cette dernière tente par tous les moyens de déshumaniser ses soldats, mais à la fin il reste toujours quelque chose qui est passé à travers les mailles du filet.

La cinquième partie s’intitule The Shadow of Empire et on voit un peu ce que devient l’humanité après avoir chassé les Xeelees de la Voie Lactée. Dans Mayflower II on repart sensiblement en arrière puisque l’on va suivre un vaisseau générationnel. Au moment où la Coalition commence à prendre le contrôle de la destinée humaine, une petite communauté en marge du système solaire décide de lancer plusieurs vaisseaux générationnels pour essayer de préserver une partie de leur population. L’un de ces vaisseaux, le Mayflower II, a pour objectif une étoile située en dehors du plan de la galaxie. Un voyage de plusieurs dizaines de milliers d’années. On va donc voir comment le vaisseau et ses passagers supportent un périple aussi long. L’auteur va naturellement nous proposer un problème de divergence au sein de la population embarquée. Il sera aussi question de la possibilité d’allonger l’espérance de vie, à quel prix et sous quelle forme. Enfin, on notera la nécessité primordiale de l’entretien du vaisseau en l’absence de tout soutien extérieur et la façon dont cette obligation va évoluer avec le temps. L’auteur a déjà exploré le thème du vaisseau générationnel, notamment dans Accrétion et Arche mais je constate qu’il parvient ici à en proposer une autre variation.

Dans l’autre texte de cette ère, Between Worlds, on constate que la Coalition n’est plus. L’éviction des Xeelees de la Voie Lactée a sonné le glas de l’organisation qui a régit la destinée humaine pendant plus de vingt mille ans. L’histoire commence avec une femme qui prend un vaisseau en otage et menace de le faire exploser si l’on ne cède pas à ses exigences. Problèmes : la planète qu’elle veut rejoindre est sur le point d’être engloutie par un trou noir, la fille qu’elle veut qu’on lui rende n’est jamais née et elle demande la médiation de quelqu’un mort depuis plus de vingt mille ans. Certains éléments de l’intrigue semblent un peu faciles mais l’auteur nous emmène une nouvelle fois dans un voyage qui en met plein les mirettes. On verra comment différentes entités se disputent le contrôle de la galaxie, les variations de la religion, un peu d’usage de personnalité virtuelle et bien évidemment un peu d’évolution. Le texte est suivi comme tous les autres d’un petit laïus de Luru Parz qui permet de faire le lien avec le texte suivant. Cet interlude est assez remarquable car il couvre nettement plus de temps que les autres, environ un million d’années. Un intervalle de temps dans lequel se passe trois des romans du même univers, quelques nouvelles du recueil Vacuum Diagrams et surtout plusieurs changements majeurs pour l’humanité. On sent bien vu la densité d’informations dans ces deux pages qu’il y a là la matière de plusieurs romans.

Le recueil se termine avec la dernière ère, The Fall of Mankind, qui ne compte qu’un seul texte, la novella The Siege of Earth. Après avoir connu la grandeur et rayonné sur toute la Voie Lactée, l’humanité se retrouve confinée à son système stellaire d’origine, attendant que les Xeelees viennent mettre un terme à son histoire. Mais ce n’est pour autant peut-être pas la fin pour l’espèce humaine. Certains pensent qu’il existe un moyen de préserver au moins une partie de l’humanité, malgré les conditions changeantes de son environnement. Il y a un côté un peu vertigineux à voir que l’humanité n’est plus réduite qu’à une note de bas de page dans le conflit qui oppose les Xeelees aux Photino Birds. Mais aussi dans la solution envisagée par certains pour sauver l’espèce. Ce texte étant du pur Baxter, l’évolution y est présente, qu’elle soit naturelle ou contrainte et qu’elle concerne l’humanité, d’autres espèces voire d’autres type d’entités (par exemple les étoiles). On retrouve un peu le schéma aperçu dans les interludes de Exultant : l’évolution des règles de l’univers ne permettant plus la survie d’une espèce, il faut trouver un moyen de se préserver, quitte à tordre les dites règles. L’auteur nous fait aussi une petite démonstration d’une autre de ses spécialités : l’ingénierie planétaire. Ce texte sert de conclusion à tout un pan de l’histoire humaine. Cependant, ce n’est pas la fin de l’univers des Xeelees. D’une part cette novella est en fait l’introduction d’une série de nouvelles, The Old Earth, que l’on retrouve dans le troisième recueil de cet univers, Xeelee : Endurance. D’autre part, il existe quelques textes du premier recueil, Vacuum Diagrams, qui se passent après l’an un million, ainsi qu’une partie du roman Accrétion.

Resplendent est donc un fort épais (deux cent mille mots) recueil de textes qui lorgnent principalement du côté du space opera à gros dosage de science. Du fait qu’il s’agit d’un assemblage de textes publiés d’abord séparément, on n’échappe pas à un certain nombre de répétitions. Ayant lu le recueil de façon épisodique, ça ne m’a pas posé trop de soucis. On retrouve parfois aussi certains des défauts récurrents de Baxter : des personnages pas très enthousiasmants, une intrigue qui n’évite pas quelques facilités. Mais on trouve aussi ce qui fait son intérêt : des idées impressionnantes et des moments de vertiges, du merveilleux scientifique. Le portrait fait de l’humanité n’est certes pas très positif, on sent bien que l’espèce retombe en permanence dans ses pires travers et n’est jamais vraiment capable de juguler son besoin d’expansion éternelle. Cependant, cela procure un bon matériau à l’auteur qui montre les multiples évolutions que va connaître l’espèce, les compromissions qu’elle fera avec ses propres règles, etc. En tout cas, avec ce recueil Baxter propose un beau panorama de son univers Xeelees, univers que je compte bien continuer d’explorer avec le troisième recueil, Xeelee : Endurance, et les deux derniers romans publiés à ce jour dans cet univers, Xeelee : Vengeance & Xeelee : Redemption.

Resplendent
de Stephen Baxter
éditions Gollancz
540 pages (grand format)

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