Meeting Infinity, dirigée par Jonathan Strahan

Petit à petit, je poursuis ma lecture de la série d’anthologies Infinity, dirigée par Jonathan Strahan. Après un Reach for Infinity fort satisfaisant, je passe donc à la quatrième anthologie, intitulée Meeting Infinity. Cette fois, l’anthologiste oriente la réflexion en direction des changements rapides (notamment technologiques) qu’un individu est capable de voir de son vivant.

On commence avec le duo écrivant sous le pseudonyme James S. A. Corey, déjà aperçu dans un volume précédent. Cette fois, la nouvelle ne semble pas lié à l’univers de The Expanse. Dans Rates of change, on suit une mère qui n’est pas d’accord avec les choix que fait son fils, dans un futur où il est devenu possible de changer d’enveloppe corporelle. Le texte rentre parfaitement dans le cadre défini pour l’antho, mais c’est presque scolaire dans la façon d’y répondre. Le texte offre une ou deux images sympathiques mais rien de bien surprenant. Je le trouve donc plutôt moyen.

Avec Desert Lexicon, je fais la connaissance d’une nouvelle autrice : Benjanun Sriduangkaew. On suit cette fois un groupe de personnages lâchés dans un environnement particulièrement hostile : ils purgent une condamnation, qui consiste simplement à survivre un certain nombre de jours dans cet endroit dont personne ne semble jamais revenir. Vu la longueur du texte, on n’explorera pas trop ni le lieu ni les personnages, mais suffisamment pour donner envie d’en savoir éventuellement un peu plus. L’approche du thème est nettement moins canonique que dans le premier texte, mais intéressante.

On passe ensuite à Drones, de Simon Ings, un autre auteur que je n’ai jamais lu (ou alors j’ai complètement oublié). Le texte se passe dans un Royaume-Uni qui semble complètement éclaté, au milieu d’une Europe en pleine sinistrose, avec un curieux déséquilibre dans la répartition des sexes. Si je ne suis pas totalement convaincu par l’idée que va présenter l’auteur, ça tient à peu près la route au niveau du texte et de la façon de la présenter. Notamment du fait que l’auteur utilise en partie un problème actuel et réel (l’hécatombe chez les abeilles). Et ça cadre assez bien avec le thème défini pour l’anthologie.

Je retrouve Kameron Hurley, que j’avais déjà croisé avec son roman Les étoiles sont légion. On retrouve un peu dans Body Politic du côté organique présent dans son roman, dans un cadre cependant différent. Dans l’ensemble, je ne suis pas plus convaincu que je ne l’étais avant. Le personnage principal est trop énervé en permanence pour que j’accroche. Il n’y a pas grand chose d’expliquer sur le fonctionnement de cet univers et comme ça utilise pas mal de termes sans vraiment les expliquer ou les différencier, sur un texte aussi court ça n’aide pas vraiment. La taille du récit amoindri aussi fortement l’effet de « révélation » qui arrive en cours de route : je n’ai pas eu le temps de m’imprégner ni de l’univers, ni des personnages, pour que ça ait le moindre impact. Bref, ce n’est pas cette nouvelle qui améliorera mon opinion sur Hurley.

Le texte suivant, Cocoons, est aussi l’occasion de retrouvaille avec une autre autrice : Nancy Kress. Si j’avais été déçu par son Feux croisés, j’ai en revanche assez apprécié son cycle de la probabilité ainsi que la novella Le nexus du Docteur Erdmann. Cette fois, elle propose un récit sur une colonie humaine sur une nouvelle planète, confrontée à une forme de vie locale qui parasite certains humains. J’ai trouvé ça plutôt bien, notamment par le côté humain que je trouvais déjà dans sa novella.

Dans Emergence, Gwyneth Jones s’occupe un peu du thème de la vie artificielle. C’est la troisième fois que je croise l’autrice dans cette série d’anthologie et c’est encore un plaisir de la lire. On reste bien dans le thème d’une évolution qu’un humain vit en temps réel. L’environnement que propose Jones est assez bien fichu et le parcours du personnage principal, entremêlé de réflexion sur le principe de la vie artificielle, se suit avec intérêt. Un texte réussi.

Avec The Cold Inequalities, je fais enfin la connaissance de Yoon Ha Lee dont le roman Ninefox Gambit (Le gambit du renard en VF) me fait de l’oeil depuis un bon moment. On se retrouve ici dans un vaisseau destiné à la colonisation d’exoplanètes, où la majeure partie de ce qui est emmené est stocké sous forme d’information. Le principe a déjà été expérimenté ailleurs mais Lee propose un angle intéressant sur la question et livre une nouvelle que j’ai trouvé tout à fait satisfaisante, avec un petit air de Rajaniemi par moment.

Je reviens ensuite vers un vieux routard de la SF avec Bruce Sterling et son Pictures from the Ressurection dans un futur apocalyptique où des sortes de zombies ravagent le Texas. L’idée de fond n’est pas mauvais mais la forme m’a semblé tellement quelconque, voire maladroite par moment, que ça gache complètement l’ensemble. Dommage.

Autre vieux nom du genre, Gregory Benford propose l’un des rares textes s’inscrivant dans un univers déjà existant : celui du Centre Galactique. Dans Aspects, l’auteur propose un petit aperçu de la vie de la partie de la famille Bishop (LeFou en VF) qui est resté sur Snowglade (Nivale) à la fin de La grande rivière du ciel. Le texte me semble tout à fait lisible pour ceux qui ne connaissent par l’univers et l’auteur s’intéresse à un élément particulier de cet univers, les aspects. C’est assez bien fait sans être particulièrement remarquable et un peu à l’égal de la nouvelle du même univers que Benford a écrit pour l’anthologie Horizons Lointains : un texte pas franchement brillant mais qui rentre dans les clous, n’a pas de défaut flagrant et se lit sans déplaisir. Et parfois, c’est suffisant.

Je passe ensuite à une plume que je ne connaissais pas avec Memento Mori de Madeline Ashby. Cette nouvelle s’intéresse à l’idée du changement régulier de corps, accompagné éventuellement d’une remise à zéro de la mémoire du sujet. Le texte est assez bien fichu, en jouant notamment sur le mystère que peut représenter les vies passées d’une personne.

Dans All the Wrong Places, Sean Williams utilise le thème du téléporteur, qu’il avait déjà exploité dans Reconstitué. Cette fois, l’idée est différente et si le point de départ est un peu bâteau voire grossier (un type qui tente de retrouver son ex, persuadé qu’il pourra recoller les morceaux), le voyage que propose Williams n’est pas mal du tout. On verra notamment la notion d’identité et de changement (ou d’absence de) que peut provoquer la téléportation. Et l’auteur arrive à pousser ça assez loin en fin de compte.

Je retrouve ensuite l’univers Xuya d’Aliette de Bodard avec In Blue Lily’s Wake. Le texte a une résonnace assez étrange, puisqu’il y est question d’une pandémie. Tout comme dans son texte pour l’antho Reach for Infinity, le soin que l’autrice apporte à ses personnages est appréciable. Bien que la nouvelle ne fasse qu’une vingtaine de pages, on sent une certaine complexité dans cette univers que de Bodard explore petit à petit et ça me donne vraiment envie d’en lire d’autres. Et puis un joli texte qui parle d’une maladie et des souffrances qu’elle crée mais aussi de l’espoir qu’amène la possibilité d’une guérison, ça fait du bien en ce moment.

Exile from Extinction part avec un gros handicap : Ramez Naam a écrit cette nouvelle à la deuxième personne. Personnellement, c’est un mode d’écriture que je trouve purement rédhibitoire, à part pour les livres dont vous êtes le héros que je dévorais étant ado. Je ne comprends vraiment pas l’utilité de ce mode d’écriture. Le texte démarre dans un conflit humanité contre IA qui parait presque grossier tant c’est archi-vue et qu’on ne semble pas ici y apporter grand chose d’original. Le seul ressort du texte reposant sur la nature du personnage principal, l’écriture à la deuxième personne vend très vite la mèche puisqu’elle permet en fait de camoufler (ou plutôt d’essayer très maladroitement) cette nature. Du coup, j’ai compris le truc très rapidement. Vu que ce genre de twist a déjà été utilisé (et bien mieux) par Asimov dans Ah ! Jeunesse il y a plus de soixante ans, ça me semble vraiment une nouvelle sans intérêt.

Dans My Last Bringback, je retrouve un autre auteur déjà présent dans deux des volumes précédents : John Barnes. On suit ici deux idées. La première concerne le traitement des problèmes de mémoire et personnalité causés par la vieillesse. La seconde est en rapport avec « l’amélioration » de l’espèce humaine et le choix que pourrait faire certains parents de ne pas y recourir, pouvant ainsi provoquer du ressentiment chez leur progéniture. L’ensemble fonctionne assez bien et Barnes offre quelques moments de rage pure de la part de la principale protagoniste.

Autre auteur déjà croisé dans la série Infinity, An Owomoyela propose avec Outsider un récit situé dans une système stellaire colonisé par une humanité dont les émotions sont pleinement lisibles à distance par le biais de la technologie. Jusqu’au moment où l’irruption d’un vaisseau avec une passagère en hibernation rappelle que d’autres branches de l’humanité ont choisi une autre voie. On voit alors la difficulté qu’il y a à communiquer avec aisance quand il manque la partie non-verbale de la conversation. Un texte intéressant avec un petit twist pas forcément très original mais qui fonctionne.

Enfin, l’anthologie se termine par un texte de Ian McDonald dans le même univers que sa trilogie Luna (ce qui était déjà le cas de sa nouvelle dans l’anthologie précédente), The Falls : A Luna Story. Comme il fait ça bien, nul besoin d’avoir lu la trilogie pour apprécier le texte, qui présente le regard d’une femme sur sa fille et sur l’IA qu’elle a créé. Ça n’apporte rien de flamboyant du côté quincaillerie de SF, mais ça parle avec justesse des espérances et des inquiétudes d’un parent vis à vis de sa progéniture, que cette dernière soit naturelle ou artificielle. Un texte agréable et qui continue de me titiller sur la possibilité que l’auteur soit bien meilleur sur la forme courte que longue.

Avec ce quatrième volume, cette série d’anthologies continue son petit bonhomme de chemin. Si cet opus ne contient par de nouvelles que j’ai trouvé vraiment brillante, il y a quand même de bons textes et quelques auteurices que j’ai retrouvé avec plaisir et intérêt (Kress, Jones, de Bodard, Benford). Si je ne suis toujours pas convaincu de l’intérêt de lire du Corey ou du Hurley, j’ai apprécié de découvrir des plumes comme celle de Lee. Dans l’ensemble, j’ai pris plaisir à lire cette anthologie et je compte bien continuer la série avec Bridging Infinity.

Meeting Infinity
anthologie dirigée par Jonathan Strahan
illustration de Adam Tredowski
éditions Solaris
430 pages (grand format)

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