Lamentation, de Ken Scholes

La fantasy fourmille de poncifs vis à vis desquels il y a plusieurs attitudes pour les dépasser. On peut simplement les contourner et prendre d’autres voies, surprendre le lecteur en sortant des sentiers battus. C’est un peu l’approche que l’on trouve dans la série du Trône de Fer, de George R. R. Martin. Une autre solution consiste au contraire à attaquer le cliché en pleine face, à foncer à travers et le magnifier en allant au-delà. C’est la voie suivie par Brandon Sanderson dans sa belle trilogie Fils-des-Brumes. Enfin il est possible de louvoyer autour des clichés en jouant sur la langue, comme le fait Patrick Rothfuss sur le Nom du Vent. C’est cette dernière approche qu’a choisi l’américain Ken Scholes pour sa série Les psaumes d’Isaak, dont le premier volume s’intitule Lamentation.
La cité de Windwir, berceau de la Grande Bibliothèque qui recueille le savoir du monde entier, vient d’être anéantie. Du cataclysme ne survit qu’Isaak, un mécaserviteur qui se sent responsable de la catastrophe, laquelle attise la convoitise des pays voisins, tous intéressés par les bribes de savoir qui trainent sous les décombres.
Le récit suit le point de vue de différents personnages, avec des séquences relativement courtes. Là où d’autres auraient pu s’étendre pendant quelques centaines de pages supplémentaires, Scholes enchaine les évènements, ne laissant pas au lecteur le temps de s’ennuyer dans une scène sans fin.
L’auteur ne répand pas trop de détails inutiles sur son univers mais on le sent tout de même assez riche, ce qui en est exposé suffisant à ressentir ce qui se trouve derrière. Au niveau des protagonistes, si l’on excepte Sethbert qui penche un peu vers la caricature, on a droit à une belle petite palette de personnages confrontés à une tragédie qui ne fait que commencer et dont ils vont être les acteurs à leur corps défendant.
Scholes parsème son texte de petites références à la SF, en commençant par Isaak, le personnage central, qui est finalement une sorte de robot à vapeur. Impossible de ne pas y voir un hommage à Asimov. Ce roman a aussi un léger parfum d’épice, comme une fragrance de Dune. Les hommes du roi Rudolfo ont un comportement qui rappelle beaucoup celui des Atréïdes et l’on sent poindre sur l’Histoire une influence proche de celle que le Bene Gesserit exerce sur l’empire stellaire de l’œuvre de Frank Herbert. Sans parler des langages de signes, des codages de messages et autres détails évoquant immanquablement les maisons qui s’affrontent pour le contrôle d’Arrakis.
Lamentation est le premier volet d’une série qui s’annonce en cinq volumes et la couverture dessinée par Marc Simonetti est de toute beauté. Une fois encore, on ne peut que se féliciter de voir les artistes et les éditeurs français faire de leur mieux pour offrir les plus beaux écrins aux livres qui le méritent.
Le tout forme un ensemble très agréable à lire, tant par l’écriture que par l’intrigue elle-même. Lamentation est de ces livres qui ne devraient susciter qu’ennui, car leurs bases ont été mille fois écrites et qui pourtant emportent le lecteur dans un voyage, au cours duquel il ne voit pas le temps passer. Et une fois parvenu à la fin on se surprend à attendre la suite avec intérêt et même une once d’impatience.
Addendum après relecture du livre (en 2024) : j’ai encore bien apprécié l’ouvrage. J’ai vraiment eu plaisir à retrouver les personnages. Et si je vois probablement un peu plus les défauts, j’y trouve aussi quelques trucs en plus. Notamment quelques reflets du passé de l’auteur. Ce dernier a été assez versé dans le christianisme américain pas très tolérant avant de changer de vision du monde. Je pense que quelques éléments du livre sont des témoignages de cette période de sa vie, notamment l’utilisation des glossolalies. Bref, une relecture qui m’a fait du bien et qui confirme mon appréciation du bouquin.
  Lamentation
Lamentation (Lamentation)
de Ken Scholes
traduit par Olivier Debernard
illustration de Marc Simonetti
éditions Bragelonne
480 pages (grand format)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *