GiG, de James Lovegrove

La plupart des livres se résument principalement aux textes, le reste étant finalement assez accessoire. Mais il arrive que le livre soit un véritable objet dont le texte n’est que l’une des facettes, un objet qui vaut aussi par lui-même. La double novella GiG du britannique James Lovegrove en est un bon exemple et nous en devons l’arrivée en France à un éditeur small-press, Griffes d’encre.
Le principe de fond de GiG n’est pas nouveau en soit : il s’agît d’une même histoire racontée de deux points de vue différents. Le procédé a déjà été employé à de nombreuses reprises et a même donné quelques chef d’œuvres, comme le magnifique Rashomon de Kurosawa. Mais Lovegrove a poussé le principe un peu plus loin, car les deux protagonistes du récit ne sont ni plus ni moins que le reflet l’un de l’autre. Et c’est là que l’auteur joue non seulement avec le récit dans son ensemble mais aussi avec les mots puisqu’il sème à tout va des palindromes et des anacycliques. Ainsi Mik est un chanteur et Kim est une fan.
Lovegrove use de cet effet tout le long de l’ouvrage. Les chapitres de chaque récit ont un titre qui est l’anacyclique de ceux de l’autre récit. Les différents quartiers de Rotor City sont tous des palindromes, tout en sonnant délicieusement british. On se prend vite à inverser tous les noms propres croisés dans le texte pour déceler quelques pépites. On notera ainsi que certains groupes comme Abba ou A-Ha ont des noms bien utiles pour l’auteur.
Mais l’intérêt de GiG ne réside pas uniquement dans le côté miroir du récit. Lovegrove tisse une trame autour d’un groupe musical parvenu au sommet et dont le leader s’inquiète de l’avenir et de sa capacité à pouvoir continuer sur cette voie. On a là tout le dilemme d’un artiste à l’apogée : continuer au risque de tomber ou bien s’arrêter ? Mik est aussi un enfant devenu homme et se retournant contre son passé, issu d’une ville à l’âge d’or révolu, à l’image de la Grande-Bretagne. Et cette ambiance de concert parfaitement retranscrite, avec la montée en puissance de morceaux en morceaux, les chansons plus calmes permettant de respirer un peu avant de relancer sur un standard propre à faire se déchaîner les fans. Le récit reste dans l’imaginaire, ce qui justifie l’existence de cette chronique, le lien entre Mik et Kim étant bien plus qu’un simple lien entre un artiste et une fan. Là aussi l’écriture de Lovegrove fait bien ressentir le mal-être de ces deux personnages.
On aperçoit aussi quelques petites trouvailles comme ces groupes de fans des Beatles divisés en deux clans, ceux préférant les débuts des Fab Four et les autres préférant les albums finaux comme Abbey Road, deux camps qui n’hésitent pas à se livrer une guerre féroce. Des personnages qui semblent tout droit sortis de l’univers de Thursday Next de Jasper Fforde.
Au-delà du travail de l’auteur il faut aussi saluer celui de la traductrice, Mélanie Fazi, qui a fait un travail remarquable, affrontant les palindromes avec brio et esquivant les traquenards tendus par les anacycliques. Le tout en retranscrivant parfaitement l’ambiance de concert que décrit Lovegrove et le parfum d’amertume et de désespoir dont on capte quelques fragrances par moment. Voilà une réussite qui mérite bien d’être salué.
Au niveau de l’objet l’éditeur a fait un travail parfait, avec une minutie que l’on aimerait retrouver plus souvent dans les publications d’éditeurs d’un calibre supérieur. Chaque récit dispose de sa préface, de sa couverture, de ses bios en fin d’ouvrage. Les deux illustrations se rejoignent sur le dos. Le code-barre, l’ISBN, les copyright, tout est dupliqué parfaitement empêchant ainsi le lecteur, même le plus maniaque, de décider quel est le côté pile et le côté face de l’ouvrage. Et ainsi de se retrouver devant le grand dilemme : par quel côté commencer ? L’ouvrage est-il meilleur dans un sens ou dans l’autre ? Personnellement j’ai suivi la voie de la lecture alternée, un chapitre de chaque récit à tour de rôle. J’ai ainsi pu voir le récit se dédoubler tout le long et accessoirement préserver un certain suspense pour la fin, ou plutôt les fins.
En réalité comme dans tous tour de magie il a une forme de tricherie et Lovegrove n’échappe pas à la règle. Mais parce que le tour est beau et parce que sur le moment je n’y ai vu que du feu je lui pardonne bien volontiers.
GiG est donc un livre et un objet qui devrait contenter les amateurs de belles choses, d’exercices de styles, ou tout simplement de musique et de littérature.
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GiG Mik & GiG Kim (GiG : Mik & GiG : Kim)
de James Lovegrove
traduit par Mélanie Fazi
illustrations de Magali Villeneuve
éditions Griffe d’Encre
186 et 176 pages

3 réflexions sur « GiG, de James Lovegrove »

  1. Très belle chronique pour un très beau bouquin. Perso, pour le lire, je l’ai tourné dans tous les sens sans regarder avant d’attaquer un côté et lire le premier chapitre. J’ai ensuite lu deux chapitres de l’autre histoire et en lisait deux de la première pour ne pas toujours être en avance sur le même récit.

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