L’ours et le renard, de Michel Goya et Jean Lopez

Très intéressé par l’histoire militaire, notamment moderne, je suis forcément de près la situation en Ukraine. Ce conflit sera probablement l’objet de très nombreuses recherches futures par des historiens et de nombreux autres chercheurs (la richesse des champs d’étude de ce conflit est impressionnante), mais pour le moment il est compliqué, voire impossible, pour un historien de réaliser la moindre étude sur le sujet. J’en parlais déjà un peu à propos de l’ouvrage de Lasha Otkhmezuri qui recueillait des témoignages de combattant-e-s des rangs ukrainiens. Deux collègues de cet historien tentent un autre exercice : parler du déroulement du conflit en direct, en convoquant le passé pour essayer de comprendre le présent.

Les deux auteurs sont déjà présents sur ce blog : Jean Lopez est un spécialiste du front Est pendant la deuxième guerre mondiale et de l’Armée Rouge ; Michel Goya est ancien colonel de l’infanterie de marine et historien avec une prédilection sur l’armée française pendant la première guerre mondiale. Ce dernier a connue une certaine ascension médiatique en servant de consultant pour une chaîne d’informations. Les deux historiens proposent donc dans cet ouvrage une sorte de dialogue, par lequel ils commentent les événements et tentent de proposer un éclairage sur quelques éléments. Les deux auteurs ont pleinement conscience qu’ils ne peuvent pas réaliser un véritable travail d’historien, par le simple manque de recul sur la situation, l’impossibilité d’accéder pour le moment à de trop nombreux documents, sources, etc. Bref, l’exercice a ses limites et Goya et Lopez en sont bien conscients et s’en expliquent dans l’avant-propos de l’ouvrage.

Les auteurs commencent par une introduction dans laquelle ils proposent de revenir sur les causes du conflit. On a un aperçu de l’histoire de l’Ukraine et de ses relations avec son voisin, à partir de la fondation de l’URSS et surtout depuis la fin de cette dernière. Ceci permet notamment d’avoir un bon éclairage sur l’occupation de la Crimée par la Russie, puis le début de la guerre dans le Donbass, en 2014.

Les deux historiens démarrent ensuite leur discussion, en couvrant les événements à partir du 24 février 2022. Et commencent par reconnaître leur incrédulité au matin du jour où la Russie est passée à l’offensive. Suit le déroulé des opérations les premiers jours et une première analyse sur le fait que Moscou avait des objectifs pour une opération très rapide et que rien ne se passe comme prévu. Du moins, tel que l’on peut supposer que Poutine l’imaginait. Car les auteurs reconnaissent clairement ne pas être dans la tête du dictateur et manquer, comme tout le monde, d’informations sur le circuit de décision du côté russe. Le futur travail des historiens qui s’y intéresseront sera justement de comprendre ce que Poutine voulait et comment il a pu se planter à ce point sur l’état de son adversaire.

Goya & Lopez proposent aussi rapidement un état des forces des deux côtés mais aussi un historique de cette situation. Où l’on constate que l’armée russe n’est plus l’armée soviétique et que l’armée ukrainienne n’est pas restée passive depuis le début de la guerre dans le Donbass : elle a mis à profit les huit années écoulées pour commencer à se transformer.

Les auteurs continuent ainsi à égrainer les opérations : l’enlisement puis le retrait russe autour de Kyiv, les tentatives de repasser à l’offensive dans le Donbass, le recul du côté de Kharkiv, la reprise de la rive droite du Dnipro par les ukrainiens, etc. Les deux historiens ont interrompu leur discussion vers la mi-avril 2023 et à quelques reprises dans l’ouvrage, ils précisent la date à laquelle ils ont tel ou tel échange. Ceci permet bien au lecteurice de constater l’état de leur pensée à un moment précis et d’apprécier comment les évolutions futures répondent à leur analyse. J’ai moi-même lu l’ouvrage début juillet 2023 et je rédige cette chronique pendant la deuxième quinzaine du même mois. Les choses ont changé depuis la conclusion de ce livre et elles changeront encore entre la rédaction de cette chronique et sa publication, à une date que je n’ai pas encore fixée. Tout ça pour dire que l’écriture de l’histoire en direct fait qu’on n’a qu’un instantané des événements : on ignore encore l’après, une chose pourtant nécessaire dans l’étude d’un événement, tout autant que l’avant. Je constate en tout cas que les auteurs n’hésitent pas à utiliser leur connaissance du passé pour tenter d’expliquer le présent, c’est déjà une fort bonne chose.

L’ouvrage n’est pas très épais et se lit vite. Il est pourtant très riche et au-delà des principales opérations militaires de la première année de conflit, de nombreux éléments sont abordés : crimes de guerre, organisation des armées, implication des pays occidentaux, notamment en terme de livraison d’armes, cyberguerre, évolution du commandement, etc.

J’ai lu ce livre très rapidement. Son sujet est depuis plus d’un an une préoccupation quotidienne personnelle. Et si je connaissais déjà beaucoup d’éléments qu’il contient, pour les avoir vu arriver/les apprendre quasiment en direct, non seulement je trouve bien de revoir tout ça de façon organisée et clairement résumé, mais j’ai aussi appris des choses qui m’avaient échappé, tant il est difficile de tout voir sur ce conflit qui génère un flux permanent et volumineux d’information et de désinformation.

On trouve quelques cartes peut-être un peu petites, format oblige, mais claires et bien utiles pour suivre les opérations décrites dans le texte. Histoire immédiate oblige, le volume de notes est assez limité et il n’y a pas de bibliographie.

Je recommande vivement l’ouvrage à celleux qui voudraient une synthèse abordable aux néophytes et souhaiteraient comprendre ce conflit. Je pense, vu mon appréciation du livre, qu’il peut aussi satisfaire les amateurs éclairés du sujet.

L’ours et le renard
de Michel Goya & Jean Lopez
éditions Perrin
336 pages, plus notes (format moyen)

disponible en numérique chez 7switch

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