Après avoir lu un ouvrage consacré à l’ensemble des conflits du règne de Louis XIV, j’ai cherché à en savoir plus sur le dernier : la guerre de Succession d’Espagne. Et il se trouve qu’un livre consacré au sujet a été publié il y a quelques temps et qu’il a reçu un bon accueil critique.
Comme toujours avec les conflits – et la plupart des événements historiques en général – la guerre de Succession d’Espagne ne se déclenche pas par hasard. L’auteur présente la situation géopolitique de l’Europe à la veille du déclenchement du conflit. L’Europe occidentale sort de plusieurs années de conflit, avec la fin de la guerre de la Ligue d’Augsbourg en 1697, et personne ne s’attend à ce que toute la région s’enflamme à nouveau quatre ans plus tard. C’est sans compter sur ce qui donnera le nom à cette guerre : la succession de la couronne d’Espagne. Un sujet dont la plupart des cours d’Europe savent qu’il posera pourtant problème rapidement, puis que le roi Charles II, produit d’une longue lignée d’unions consanguines, est stérile et de santé fragile.
On voit donc comment la disparition de ce souverain et surtout la surprise que constitue son testament vont ranimer les braises du conflit précédent. La maladresse diplomatique de Louis XIV, pourtant dans son bon droit du point de vue du testament de Charles II, va pousser rapidement à une nouvelle coalition contre le Roi-Soleil. L’auteur montre cependant tout au long de l’ouvrage que la diplomatie n’est pas une action séparée de la guerre mais qu’elle en est une composante (oui, ceci est un bon tacle aux gens qui demandaient de rechercher une « solution diplomatique » plutôt que d’armer les ukrainiens, j’assume). Les différents membres de la coalition ne poursuivent pas les mêmes objectifs et cela va peser dans leur motivation à continuer ou non les hostilités. Le contexte plus large est aussi rappelé à quelques reprises : l’Autriche est encore à un époque de conflit sérieux avec les ottomans et une autre guerre frappe l’Europe au même moment, la Grande Guerre du Nord, principalement entre la Suède et la Russie.
L’auteur montre aussi bien, plus tard dans l’ouvrage, que la victoire peut vous échapper lorsque l’on se montre trop gourmand. Début 1709, Louis XIV est acculé après plusieurs défaites de ses armées et prêt à accepter les demandes de ses adversaires. Mais la coalition sentant la victoire proche rajoute encore et encore des conditions, jusqu’à atteindre un seuil au-delà duquel le souverain français décide de laisser tomber la discussion et de laisser ses armées produire un miracle. Ce qui adviendra à la fin de l’été de la même année, avec la bataille de Malplaquet, qui est toujours une superbe illustration du fait que perdre une bataille peut être bénéfique. Et la guerre repart pour trois années de plus et se terminera avec une résolution nettement moins avantageuse que celle possible pour la coalition début 1709.
A côté de cela, l’auteur détaille bien les différents théâtres d’opération, avec leurs batailles et surtout leurs sièges (action militaire bien plus fréquente que la bataille à l’époque), leurs armées et leurs commandants. On a quelques chapitres consacrés justement aux armées, leur équipement, leur logistique, leur doctrine. Et naturellement aux différents personnages qui les commandent. Où l’on constate que si la politique amène parfois à nommer des généraux sans grande qualité, elle provoque aussi parfois la chute des plus compétents, comme ce sera le cas pour le duc de Marlborough. On nous propose aussi un éclairage sur l’aspect « médiatique » du conflit : comment les différents régimes en parlait, la circulation de la presse commentant les opérations et son public (pas réduit aux nobles/puissants, les lectures publiques existaient). Enfin, l’auteur parle aussi un peu de ce sur quoi on ne sait pas grand chose : les motivations et le ressenti du simple soldat. Si l’on dispose de pas mal d’informations sur ces sujets à propos des généraux et des officiers, les soldats ont laissé très peu de traces écrites à ce sujet et on ne peut donc guère que spéculer sur ces questions. Je trouve toujours intéressant qu’un historien rappelle les zones de savoir qui restent plus ou moins obscurs.
Bref, cet ouvrage est vraiment riche. Des causes du conflit au conséquence, tout est parcouru en détail et rien ne me semble manquer. Les opérations, la complexité de mener une guerre sur plusieurs fronts en même temps – les armées de Louis XIV se battent sur quatre terrains différents -, les actions diplomatiques, les problèmes économiques et financiers, la condition des combattants, leur organisation et équipement, etc. On voit que les aléas généalogiques de la dynastie des Habsbourg aura provoqué un conflit que pas grand monde ne voulait et ce n’est que pas fini puisque cette famille royale provoquera une autre guerre de succession trente ans plus tard : celle de l’Autriche. Mais j’en parlerai un autre jour, ayant aussi en stock un ouvrage sur le sujet.
La guerre de succession d’Espagne
de Clément Oury
éditions Tallandier
591 pages, plus notes, généalogie, chronologie, bibliographie & index (poche)
disponible en numérique chez 7switch