Edge of Infinity, dirigée par Jonathan Strahan

Je vous ai parlé il y a quelques temps d’Engineering Infinity, premier volume d’une série d’anthologies dirigée par Jonathan Strahan. Je pensais attendre encore un peu avant de me lancer dans le volume suivant, mais le visionnage de la série animée anthologique Love, Death & Robots a fortement augmenté l’envie de lire des nouvelles. J’ai donc entamé la lecture du deuxième volume : Edge of Infinity.

Dans son introduction, Strahan revient sur l’idée qu’il avait développée dans celle du précédent volume : mettre en avant la quatrième génération de la SF. Et après une anthologie orientée vers la hard science, il propose cette fois des textes centrés sur la colonisation du système solaire.

Ce volume s’ouvre avec The Girl-Thing who went out for Sushi, un texte de Pat Cadigan qui remporta le prix Hugo de la meilleure novelette (format intermédiaire entre la nouvelle et la novella). On se promène du côté de Jupiter et on voit comment certains humains, d’abord pour des raisons purement médicales puis pour d’autres raisons (esthétiques, pratiques, etc.), en sont venus à changer de forme et à puiser leur inspiration dans les océans de la Terre. Cadigan joue assez bien sur le vocabulaire utilisé par les personnages qui ont franchi le pas, en évoquant les différentes formes de vie marines. J’ai aussi apprécié le fait de voir les humains « ordinaires » comme coincés dans des raisonnements binaire du fait de leur caractère bipède. Enfin, Cadigan n’oublie pas de saupoudrer un chouia son histoire d’un fond géopolitique avec l’équilibre précaire entre la Terre et les colonies intérieures (Lune et Mars) d’un côté et les colonies extérieures (Saturne et au-delà), le système jovien se trouvant coincé au milieu. Cet élément n’est pas essentiel au récit et il est présenté rapidement sans encombrer le texte, un bon équilibre. Dans l’ensemble, un texte intéressant.

Avec The Deeps of the Sky, Elizabeth Bear nous présente la vie sur une géante gazeuse et de quelle façon les humains finissent par y faire éruption. Le point de vue du personnage principal, un habitant de ce monde géant (un jovien ?), est bien rendu et Bear met bien en évidence quelques-unes des spécificités de cette espèce.

Le duo derrière le pseudonyme James S. A. Corey est connu pour sa série de space-opera The Expanse, notamment par le biais de son adaptation pour le petit écran. Avec The Drive, il nous propose une plongée dans le passé de leur univers avec l’histoire de Solomon Epstein qui tente de mettre au point un nouveau moteur, avec un résultat qui surprend même son créateur. On voit une société martienne encore soumise aux volontés de la Terre mais qui recherche une issue. La réflexion sur l’asymétrie entre les deux planètes est intéressante. Par contre, je n’ai pas réussi à suspendre assez mon incrédulité pour avaler le coup du type qui invente un truc totalement révolutionnaire dans son garage, qui plus est sans véritable explication. Ça ressemble beaucoup à du « ta gueule, c’est magique ». Bref, le texte est pas mal (et moins pénible que les deux premiers romans dans le même univers) mais ça ne casse pas trois pattes à un canard.

Le texte suivant est aussi dû à un duo : Sandra McDonald & Stephen D. Covey. Dans The Road to NPS, ils nous propulsent sur Europe, la lune glacée de Jupiter. On va y suivre un personnage qui tente de réaliser une première en ralliant deux points de la planète par voie « terrestre » plutôt que spatiale. S’il y a la reprise d’idées intéressantes, comme le contrôle qu’exerce les sociétés sur les gens en les endettant pour les forcer à travailler pour leur compte, je n’ai pas été très emballé par ce texte. La faute à des personnages qui ne m’ont pas vraiment convaincu, ainsi qu’à une fin qui a une nette allure de deux ex machina un peu trop facile.

Dans Engineering Infinity, le texte de John Barnes faisait partie des rares déceptions. L’auteur revient avec Swift as a Dream and Fleeting as a Sigh. Cette fois, il est question d’une IA qui sert de psy et de conseiller conjugal. Le texte est raconté du point de vue de l’IA et c’est assez bien rendu, avec une vision des humains comme des créatures d’une lenteur improbable. La conclusion de la nouvelle est assez inattendue et pas désagréable. Bref, cette fois je trouve que Barnes s’en sort bien.

La nouvelle Macy Minnot’s Last Christmas on Dione, Ring Racing, Fiddler’s Green, the Potter’s Garden gagne le prix de la nouvelle au titre à rallonge. Paul McAuley ancre ce texte dans le même univers que celui de La guerre tranquille, dans lequel il a écrit d’autres romans et nouvelles. Dans ce texte, on suit une femme qui part vers l’un des satellites de Saturne pour assister à l’enterrement de son père qu’elle n’a pas vu depuis de nombreuses années. L’occasion d’une découverte de Dioné et ses habitants. On sent dans ce texte que McAuley fait référence à d’autres récits du même univers et parfois de façon un peu pesante ou sans que cela apporte grand chose. Au final, je me suis plutôt ennuyé.

Avec Safety Tests, Kristine Kathryn Rusch propose un aperçu de la vie… d’une examinatrice de permis de conduire spatial. Et oui, car il ne suffit pas de s’acheter un vaisseau pour pouvoir se promener en orbite ou faire la course vers Mars, encore faut-il passer son permis. L’idée a une certaine originalité tout en paraissant réaliste. En tout cas, d’après Rusch ce n’est pas un travail de tout repos. Cette nouvelle m’a plu tant par l’idée proposée que par le ton du récit. Deuxième bon texte de Rusch dans cette série d’anthologies.

Gwyneth Jones s’intéresse à l’exploration de notre système solaire dans Bricks, Sticks, Straw. Une technologie permettant de communiquer plus rapidement que la lumière combinée à des progrès dans le domaine de l’IA permettent à des esprits humains de diriger des robots d’exploration sur d’autres planètes. Mais lorsqu’une tempête solaire interrompt les communications, les doubles numériques hébergés par les sondes sont forcés de prendre leur autonomie. J’ai pas mal apprécié ce texte pour son exploration des mondes du système jovien. J’ai aussi aimé la façon dont les différentes consciences numériques interprètent le monde qui les entoure. Le texte est assez satisfaisant et la fin apporte un petit plus vraiment appréciable.

Hannu Rajaniemi est un autre des auteurs déjà présents au sommaire de l’anthologie précédente. Cette fois, il propose de faire un tour du côté de la Lune avec Tyche and the Ants. Dans ce texte qui prend des allures de conte, on suit Tyche, une jeune fille qui semble mener une vie assez étrange. Le texte mène un peu nulle part, mais j’ai apprécié la façon dont Rajaniemi réutilise des légendes connues ainsi que des éléments d’histoire réelle. Un texte un peu moins vertigineux que son précédent mais très agréable à lire.

C’est évidemment avec plaisir que j’ai retrouvé la plume de Stephen Baxter. Dans Obelisk, l’auteur revient dans l’univers de ses romans Proxima et Ultima. On y voit quelques aperçus de la colonisation de Mars par l’humanité, principalement par le biais d’un ancien commandant de vaisseau chinois. L’intrigue gravite évidemment autour de l’object éponyme. Ce texte est une nouvelle occasion pour l’auteur de mettre en scène quelque projet grandiose, guidé par l’obsession de deux individus, sans pour autant négliger complètement l’aspect humain. Ce dernier se rappelle d’ailleurs au souvenir de certains personnages à la fin du texte. Cette nouvelle n’est pas aussi magnifique que The Invasion of Venus dans la précédente anthologie mais c’est tout de même un bon texte de Baxter qui prouve une nouvelle fois qu’il est capable de mettre beaucoup de choses dans des nouvelles pas très longues.

On enchaîne ensuite avec un autre auteur que j’ai toujours plaisir à retrouver : Alastair Reynolds. Ce dernier nous propose Vainglory, un récit à deux fils narratifs, l’un explorant le passé de l’autre. On y découvre une forme d’art que permettrait la colonisation du système solaire. D’une certaine façon, je trouve que Reynolds réussi dans ce texte ce que McAuley a échoué à faire dans le sien : utiliser l’art et en faire un élément de son intrigue. En parallèle, Reynolds n’hésite pas à utiliser de gros jouets pour motiver cette dernière. Le tout forme un ensemble assez équilibré et qui fait plaisir à lire.

L’un des plaisirs de lire cette série d’anthologies, c’est de découvrir des auteurs dont j’ignorais jusqu’au nom. C’est le cas de An Owomoyela que je lis ici pour la première fois avec Water Rights. Dans cette nouvelle, il est évidemment question de l’eau, qui est une ressource primordiale pour l’espèce humaine et donc un élément clé dans la colonisation du système solaire. Les environnements artificiels dans lesquels vivent ces colons sont très dépendants de l’approvisionnement et le recyclage du précieux liquide. On va voir ce qu’il se passe quand cet approvisionnement est menacé. Owomoyela utilise de façon intéressante la panique, les rumeurs, l’absence de rationalité qui pointe vite quand les humains se sentent menacés. En soi, la nouvelle n’amène à rien de surprenant à la fin, tant le personnage principal a peu de choix qui s’offrent à elle. Mais l’intérêt réside dans le fait de voir ce personnage accepter l’inévitable. Un texte intéressant et qui laisse espérer que je retrouverai son auteur dans d’autres anthologies.

Le volume se conclue avec un vétéran de la SF : Bruce Sterling. Ce dernier nous propose avec The Peak of Eternal Light de faire un tour dans la société humaine vivant sous la surface de Mercure. On va donc suivre le dixième anniversaire de mariage d’un couple. Ce fut pour moi un bon moment d’ennui. Les personnages ne m’ont pas intéressé, la société que décrit Sterling est très caricaturale au point d’en être barbante et certains éléments sont agrégés à l’histoire sans vrai raison, autre que d’essayer de donner plus d’infos sur ce monde et ses habitants. Bref, un final bien raté.

Après un Engineering Infinity fort réussi, Jonathan Strahan dirige une nouvelle anthologie pleine de textes intéressants. Il y a certes quelques textes que j’ai trouvé fort moyen, voire sans intérêt (Sterling), mais la proportion de bonnes choses est heureusement bien majoritaire. Je vais donc continuer sur ma lancée et probablement lire dans les prochains mois le troisième volume de cette série : Reach for Infinity.

Edge of Infinity
anthologie dirigée par Jonathan Strahan
éditions Solaris
380 pages (poche)

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