J’ai déjà parlé ici d’un ouvrage de Rémi Kauffer, spécialiste de l’espionnage. L’auteur publiant régulièrement, il y a donc matière à lire. Et dans le lot, il y a un livre qui s’intéresse à la question des femmes dans le renseignement. Voilà un sujet qui a particulièrement attiré mon attention.
L’auteur démarre par une introduction dans laquelle il évolue l’une des espionnes les plus célèbres de la fiction, Milady de Winter dans Les trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, puis l’une des plus célèbres (mais clairement pas l’une des meilleures) de la réalité, Mata Hari. Deux figures dont il va reparler par la suite dans l’ouvrage. Et dans le cas de Milady, il commence dès le premier chapitre.
Car si la célèbre intrigue n’a pas réellement existé, elle a tout de même quelque alter-égo dans notre réalité. En particulier Lucy Percy, alias Lady Carlisle, dont la carrière aux 17e siècle est largement digne d’un roman d’aventure. Kauffer nous présente son parcours tout en le mêlant à celui d’autres femmes de l’époque qui elles aussi ont fait dans le renseignement pour une couronne ou une autre.
On a là la forme que va présenter l’ouvrage la plupart du temps. L’auteur détaillera la vie et la carrière de différentes « espionnes » dans des récits qui vont souvent voir se croiser de nombreux personnages dont un certain nombre d’hommes mais aussi souvent d’autres femmes du même domaine d’activité. Et il y a du monde à présenter. Beaucoup. Car si les femmes n’ont représenté et ne représentent toujours qu’une minorité du personnel de renseignement, elles sont pourtant bien présentes depuis un bon moment.
Si les 17e, 18e et 19e siècle seront parcourus assez rapidement, avec toutefois des figures intéressantes à chaque fois, le 20e siècle est par contre abondement exploité par l’ouvrage. C’est qu’il y a nettement plus de sources sur les activités des femmes dans la communauté du renseignement, jusqu’à certains personnages que l’auteur lui-même a pu rencontrer.
On verra donc leur rôle important pendant la première guerre mondiale, une période où Mata Hari s’illustrera tout en constituant presque un contre-exemple. Car la plupart des femmes évoquées ici ne défraieront pas la chronique tout en ayant une véritable importance dans leur domaine, là où Mata Hari ne sera en réalité qu’une bien piètre espionne. L’auteur rappelle par ses évocations toute l’occupation de la Belgique et du Nord de la France par l’armée allemande. Une occupation qui n’aura rien de paisible et que plus d’une résistante paiera de sa vie.
L’entre-deux-guerres est l’époque d’une première confrontation Est-Ouest, avec quelques destins assez remarquables, comme celui de Caridad Mercader, mère de Ramon Mercader, le futur assassin de Léon Trotsky.
La deuxième guerre mondiale est bien sûr le moment d’un grand défilé de figures féminines de l’espionnage et de la résistance. Une sacrée collection de portraits de femmes avec des parcours impressionnants et bien souvent une fin tragique. L’auteur n’oublie bien sûr pas de parler de celles qui travaillèrent aussi pour les puissances de l’Axe.
Enfin, on voit toute la période post-deuxième guerre mondiale, avec la guerre froide mais aussi toutes les autres rivalités, jeux d’alliances, etc. qui caractérisèrent cette époque. On voit notamment la participation de plusieurs femmes à la traque des organisateurs de la tragique prise d’otages des J.O. de Munich de 1972. Une histoire où l’auteur évoque en particulier le drame de Lillehammer où les agents du Mossad assassine un immigré innocent. Une erreur qui aurait pu être évité si les doutes des deux femmes participants à l’opération avaient été pris en compte. Tragique exemple de la dépréciation des compétences des femmes par les hommes.
En tout, Rémi Kauffer propose vingt-six chapitres, où il tente à chaque fois de regrouper des personnages d’une même époque et au service d’une même puissance. Ce milieu n’était pas si grand, on verra un certain nombre de femmes et d’hommes apparaître dans plusieurs d’entre eux. Comme des personnages récurrents d’une série. Je trouve aussi que l’auteur s’en sort bien pour évoquer toute cette galaxie de personnages qui se rencontrent, se recrutent, s’affrontent, etc. Il faut parfois être un minimum attentif pour ne pas se perdre dans ce flot de figures travaillant autant dans l’ombre que dans la lumière. En tout cas, de livre en livre je trouve toujours la plume de Kauffer agréable à lire, jonglant avec les éléments importants et les petits détails.
Si Kauffer nous racontent en détail le destin de nombreuses femmes de l’espionnage et de la résistance, on voit qu’il y en a bien plus que toutes celles qu’il évoque. En particulier dans les chapitres consacrés aux deux conflits mondiaux, l’auteur se prend régulièrement à énumérer d’autres noms comme autant d’exemples complémentaires de courage et d’abnégation, souvent chèrement payés. J’ai vraiment eu la sensation qu’il citait autant de noms qu’il le pouvait sans sombrer dans la liste interminable. Mais que l’envie ne lui manque visiblement pas de nous donner le nom de toutes les femmes ayant combattu allemands et nazis pendant les deux guerres mondiales. On le sent véritablement marqué et plein de respect pour toutes ces héroïnes qui firent face aux ténèbres et tentèrent de conserver allumer la flamme de la résistance, trop souvent au prix de leur vie ou de souffrance atroces. Une petite contribution pour que leurs noms ne s’oublient pas.
L’ouvrage se termine par une évocation de la féminisation des services de renseignement en France. Une évolution bien réelle même si elle se fait encore avec parfois une certaine difficulté. Enfin, en conclusion l’auteur espère avoir réussi à dépasser les clichés entretenus sur les femmes dans l’espionnage et proposer des histoires réelles et bien plus passionnantes que pas mal de fiction. Ça me semble parfaitement réussi à ce niveau. Et il espère que cet ouvrage ne sera que le premier d’un champ historique qui a clairement besoin d’être étudié plus en détail par d’autres générations d’historiennes et d’historiens. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.

Les femmes de l’ombre
de Rémi Kauffer
éditions Perrin
480 pages, dont bibliographie et index (poche)
disponible en numérique chez 7switch