Charles Martel et la bataille de Poitiers, de William Blanc & Christophe Naudin

L’histoire est un sujet d’étude scientifique, mais c’est aussi un sujet utilisé par les politiques, souvent avec déformation et manipulation à la clé. William Blanc et Christophe Naudin ont décidé en 2015 de s’intéresser à l’un des sujets qui revenait régulièrement dans la bouche des identitaires : la bataille de Poitiers et le personnage associé, Charles Martel.

L’ouvrage est divisé en deux parties. La première s’intéresse à la bataille de Poitiers elle-même, ses acteurs et son contexte. La seconde se penche sur la mémoire de la bataille, du moyen-âge à nos jours, et la construction du mythe qui l’accompagne.

Les auteurs font bien le tour des événements qui mènent à la bataille, que ce soit du côté de l’extension de l’empire musulman d’un côté, ou celle du royaume franc de l’autre. Celleux qui ne connaissent pas le contexte pourront en apprendre beaucoup en peu de pages : le fait qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une invasion de la « France » (qui de toute façon était inexistante à l’époque), que Charles Martel avait surtout des visées sur l’Aquitaine et son contrôle, que l’on ne sait pas vraiment où la bataille a eu lieu (au point qu’en anglais elle s’appelle bataille de Tours) ni même quand exactement. Les auteurs continuent ensuite après la bataille, avec ses conséquences immédiates et ses suites. L’occasion de constater qu’elle est loin d’être la seule à avoir eu lieu à l’époque et qu’elle n’est pas forcément aussi décisive qu’on le dira par la suite.

On suit ensuite le chemin de la mémoire de cette bataille à travers plus d’un millénaire. Et la première chose que montre les auteurs, c’est que la bataille ne semble pas avoir eu un retentissement particulier pendant les premiers siècles qui la suivirent. Voire qu’elle était presque totalement absente des sources de l’époque. Et Charles Martel ne brillait pas beaucoup plus par sa présence. On voit qu’il faut attendre le 19e siècle pour que le personnage et l’événement soient sorties de l’oubli et enfin mis un minimum en avant. Les auteurs montrent tout du long l’usage qui est fait de la figure de Charles Martel, l’image qu’on lui donne changeant au fil des circonstances. L’occasion de rappeler qu’à certains moments, on insista bien sur son habitude, pas rare pour l’époque, consistant à confisquer des biens de l’église pour les refiler à ses sous-fifres. Bref, les auteurs montrent bien que ni la bataille de Poitiers, ni Charles Martel n’ont été des piliers intangibles de l’histoire de France. Pas même dans les manuels scolaires, comme ils en font la démonstration. On voit aussi comment la bataille a été perçue du côté musulman.

Enfin, on voit comment tout ça fini par ressurgir au début du 21e siècle, dans les mains de l’extrême-droite et des identitaires qui tentent de forger, ou reforger, un mythe sur le personnage et la bataille. Une vision essentiellement fantasmée, comme le montre bien la première partie qui relate ce que l’on sait de cette époque.

Voici donc un livre intéressant qui nous parle d’un bataille, d’un commandant, de ce que l’on en sait mais surtout de la mémoire et de l’historiographie de ce sujet. Ce que je trouve souvent tout aussi passionnant que le sujet lui-même. Et ça se lit rapidement.

Charles Martel et la bataille de Poitiers
de William Blanc et Christophe Naudin
éditions Libertalia
265 pages, plus annexes, bibliographie & index (format moyen)

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