Si j’ai terminé la série Infinity d’anthologies dirigées par Jonathan Strahan, j’ai encore en stock d’autres volumes sous sa direction, sans parler de ceux à venir puisqu’il est toujours en activité. Aujourd’hui, c’est donc le tour de Made to Order, une anthologie qui parle de robot et de révolte.
On commence par un texte d’une autrice que je ne connaissais pas du tout, Vina Jie-Min Prasad. Dans A Guide for Working Breeds on suit la conversation entre deux robots, l’un servant de mentor à l’autre pour l’aider à s’en sortir face à son travail et son employeur. J’ai beaucoup aimé ce texte, avec son approche « programme de mentorat » et voir des robots parler de la pénibilité de leur travail, s’échanger des infos sur le droit du travail, etc. Et puis il y a aussi une espèce de délire assez amusant sur les chiens et tout un tas de petits détails que j’ai apprécié.
Avec Peter Watts, je retrouve un auteur déjà aperçu plusieurs fois dans les anthologies dirigées par Strahan. Il nous propose une histoire avec l’exploration des fonds marins d’Encelade, lune de Saturne. Une activité dirigée à distance par un humain assisté d’une entité artificielle, en quête de quelque chose qui ne veut pas se manifester. J’ai trouvé que le texte était bon, le personnage principal supportable, l’idée proposée intéressante et la chute bien amenée. Ce texte est disponible en français sous le titre Test d’écho dans le numéro 103 de la revue Bifrost.
Dans The Endless, on nous propose une approche pour moi assez originale sur les robots et les IA. Saad Z. Hossain nous raconte rien de moins que la vie d’une IA qui gérait un grand aéroport et qui suite à diverses opérations de rachat, de spéculation, etc. se retrouve à faire un nouveau travail qu’elle déteste pour le compte de gens qu’elle ne supporte pas. Mais elle compte bien se venger. Le texte a son lot de belles cochonneries de gestion d’entreprise qui, malheureusement, ne relèvent pas tant que ça de la fiction. En tout cas, j’ai apprécié de voir ce genre de dérive appliquée sur le sujet de l’IA.
De son côté, Daryl Gregory propose un texte qui parle de trauma et de dommages « collatéraux ». Dans Brother Rifle, on suit un ancien soldat qui n’a pas très bien vécu sa dernière mission. Le récit raconte en parallèle sa thérapie et la mission en question. On explore ici la thématique de l’utilisation des IA dans le monde militaire, avec en principe l’idée d’un contrôle humaine de la gâchette, l’algorithme n’étant là que pour faciliter le ciblage. Un débat qui a actuellement lieu dans certaines armées. Évidemment, ici il s’agit d’aller un peu plus loin puisque nous sommes dans la SF et l’auteur se débrouille assez bien pour explorer une dérive possible. D’où les guillemets à « collatéraux » un peu plus haut.
On tape sur un autre thème d’actualité dans The Hurt Pattern, puisque Tochi Onyebuchi y raconte la vie d’un opérateur qui doit suivre à distance des actions violentes provoquant des traumatismes. On touche un peu du doigt la vie des gens qui filtrent les médias des réseaux sociaux pour alimenter par exemple les flots de données des moteurs d’IA (dé)génératives et qui se prennent en pleine figure toute la violence humaine possible et imaginable, en condensé, toute la journée. Mais on va aussi explorer la piste des bavures policières et des compensations financières que provoquent ces dernières. Et l’auteur tape tellement bien que je ne serai pas surpris si un jour son texte devenait prophétique.
Dans Idols, Ken Liu nous propose un triple récit, en s’occupant des joies des personnalités simulées par IA. L’anthologie date de 2020 mais on tape en plein dans l’actualité puisque le premier récit parle de la reconstitution de la personnalité du père que le personnage principal n’a jamais connu. En une époque où on nous prétend émuler la personnalité d’une victime d’homicide pour lui faire accorder son pardon à son meurtrier, ça tape juste. Et il est justement question du monde judiciaire dans le deuxième récit, puisqu’on se penche sur le domaine de la sélection des jurys, sujet popularisé par certaines fictions états-uniennes dont la série Bull. Sauf qu’ici on utilise carrément l’IA pour essayer de deviner la personnalité des jurés potentiels. Enfin, on termine avec un usage qui tend plus vers l’art. Ce texte est disponible en français sous le titre Idoles dans le numéro 110 de la revue Bifrost.
Bigger Fish de Sarah Pinsker tend un peu vers la facilité mais j’ai vraiment pris plaisir à lire cette petite enquête où une détective privée est embauché par le fils d’un homme dont la mort a été déclarée accidentelle. Bien sûr, le client n’y croit pas. J’ai trouvé la résolution de l’intrigue un peu facile mais réjouissante, notamment avec l’idée qu’une vieille idée de la SF classique à robot revient nous mordre le fondement.
Ambiance différente dans Sonnie’s Union où Peter F. Hamilton nous raconte la vie de quelqu’un participant à une équipe participant à des combats de créatures artificielles. Ce qui n’était pas forcément très encadré et qui devient surtout illégal à partir d’un événement que la narratrice nous explique. L’idée est intéressante, notamment le parcours du personnage principal qui est allé un peu loin sur sa voie et qui semble avoir quelques comptes à régler. Plutôt un bon texte pour l’auteur.
Du côté de John Chu, on suit un robot qui a quelques problèmes à concilier son travail et sa passion, le patinage artistique. Pas pour une raison d’emploi du temps, mais plutôt une affaire de batterie qui n’arrive plus à stocker assez d’énergie pour tout faire dans la même journée. Et puis Dancing with Death nous raconte aussi sa relation avec un curieux personnage dont je ne suis pas sûr qu’il soit vraiment humain. Un texte un peu étrange.
Je retrouve l’un de mes auteurs favoris : Alastair Reynolds. Le gallois nous raconte une traversée entre les étoiles et comme d’habitude chez lui, le voyage dure quelques décennies, impossibilité de dépasser la vitesse de la lumière oblige. Sauf que dans Polished Performance, les robots entretenant le vaisseau vont se retrouver face à un imprévu de taille. A eux alors d’essayer d’improviser une solution. On a droit à une espèce de croisière qui amuse plus ou moins le lecteurice mais pas forcément ses protagonistes. Je me suis bien amusé avec ce texte, qui montre que l’auteur est capable de produire des choses avec une dose d’humour tout à fait raisonnable, sans perdre son sérieux dans les idées qu’il utilise. Ce texte est disponible en français sous le titre Une représentation brillante dans le Hors-série 2025 de la collection Une Heure-Lumière.
Dans An Elephant Never Forgets, Rich Larson met en scène une sorte de crèche où l’on semble élever des créatures artificielles. Et pour moi, ça ne passe pas, pour une simple raison : le texte est écrit à la deuxième personne. Ce mode de narration me sort en permanence du récit et franchement je ne comprends pas pourquoi des gens s’en servent pour écrire une histoire. Encore plus quand le protagoniste commence le récit en assassinant froidement trois personnes. Je suis allé au bout du texte, parce qu’il ne s’agit que d’une nouvelle de dix pages, mais sur un roman de trois cents pages c’est l’abandon assuré au bout d’une page après avoir vérifié que tout le reste du récit est écrit de la même façon.
L’un des fantasmes, à mon avis complètement irréaliste et débile, des promoteurs actuels des « IA » (dé)génératives est qu’elles pourraient nous permettre de réaliser des percées scientifiques et techniques. C’est en partie l’idée derrière The Translator. Dans cette nouvelle Annalee Newitz nous propose un chemin pour l’évolution des IA, avec des attentes un tout petit peu frustrées du côté de l’humanité. Notamment du fait du manque de clarté de ce que produisent les IA. Ce qui nécessite donc que certaines personnes s’improvisent traducteurices, une activité qui n’est pas de tout repos puisque les IA semblent prendre un malin plaisir à communiquer par le biais de jeux de pistes. J’ai bien aimé l’idée ainsi que la chute de la nouvelle.
Dans Sin Eater, on rencontre rien de moins que le pape lui-même. Ian R. MacLeod nous raconte la rencontre entre le Saint-Père et un robot à qui Sa Sainteté demande un service bien particulier. L’idée est originale.
Sofia Samatar propose elle de nous parler de contes de fée. Dans Fairy Tales for Robots, on voit défiler une adaptation de certains récits bien connus, à destination d’un robot, pour lui proposer des leçons. Les réinterprétations de ces récits est intéressante à voir et presque amusante parfois.
L’une des promesses faites avec la robotisation était de permettre de décharger les humains du travail et de pouvoir nous offrir une belle société dans laquelle nous n’aurions plus besoin de travailler pour subvenir à nos besoins. La réalité ne suit clairement pas ce chemin. Mais Suzanne Palmer nous montre dans Chiaroscuro in Red que même dans une telle société, on peut conserver un tas d’inégalités. Et même retrouver quelques comportements de salopards accapareurs de profit. Un texte dont j’ai bien aimé l’écriture.
Enfin, le volume se termine avec A Glossary of Radicalization. Brooke Bolander montre les conséquences de certains choix fait pour humaniser des robots. Et du potentiel à en pousser certains à la révolte.
Voici donc encore une bonne anthologie dirigée par Jonathan Strahan dans laquelle j’aurai trouvé plein de bonnes choses qui m’ont fait plaisir. Et franchement, à part le texte à la deuxième personne qui est tout simplement rédhibitoire pour moi, il n’y a rien qui m’ait franchement déplu. Je vais pouvoir continuer à dépiler mon stock de volumes dirigés par l’anthologiste.

Made to Order
anthologie dirigée par Jonathan Strahan
illustration de Blacksheep
éditions Solaris
349 pages (format moyen)