Après avoir parlé d’une biographie de Von Rundstedt puis de celle de Model et comme je suis bien lancé dans cette direction, je suis rapidement passé à une troisième biographie de maréchal hitlérien. Et pas n’importe lequel, mais le plus connu d’entre tous : Erwin Rommel.
Au contraire des deux précédentes biographies qui commençaient par un épisode tardif avant de revenir aux origines du personnage, ce livre-ci débute par la naissance d’Erwin Rommel. Son profil au début tient plus du Model que du Von Rundstedt : issu d’une famille non noble et sans ascendance de soldat, il va pourtant s’orienter vers une carrière militaire, suivant le choix opéré pour lui par son père.
La première guerre mondiale lui offre des opportunités de briller. C’est notamment sur le front italien qu’il s’illustre à plusieurs reprises, en manifestant un véritable courage face au feu, voire de l’inconscience, et une capacité d’initiative qui vont lui permettre de briller. Mais pas au niveau où il aimerait puisqu’il semble privé de certaines décorations, attribuées à d’autres. L’auteur montre bien que déjà à l’époque, Rommel a de grandes ambitions et construit sa propre légende. Et il va clairement passer des années à saouler tout le monde avec le récit de ses exploits.
L’arrivée d’Hitler au pouvoir puis le déclenchement de la seconde guerre mondiale va enfin lui permettre de briller largement plus qu’en simple officier. Et c’est la campagne de France qui lui offre son premier moment de gloire, avec une chevauchée improbable à la tête de ses panzers. L’occasion d’ailleurs de rappeler que la Wehrmacht n’a pas franchi la Meuse qu’à Sedan, qui est généralement le point sur lequel focalisent pas mal de gens à propos de ce désastre pour l’armée française.
On le voit ensuite ricocher sur divers projets avant de se retrouver projeté, presque par surprise, à la tête des troupes allemandes envoyées en Afrique du Nord pour y secourir l’allié italien en fâcheuse posture. L’auteur montre comment Rommel s’insère dans ce jeu multinational. L’un des points que j’ai trouvé très intéressant pendant toute cette période africaine, c’est de voir qui étaient les officiers généraux travaillant directement sous ses ordres. Parce que si Rommel s’est accaparé la légende de la réussite de certaines opérations, il n’est pas le seul à en être l’exécutant.
On voit bien comment le personnage travaille à sa légende et de quelle façon la propagande allemande s’empare de sa figure. Un personnage bien utile à mettre en avant quand les choses vont commencer à tourner au vinaigre en URSS. Cependant, l’auteur montre aussi que par moment Goebbels tente de ne pas surexploiter le personnage de ce général qui commençait à se transformer en légende vivante. Le patron de la propagande allemande avait bien conscience du fait qu’à trop encenser une figure, on peut susciter des attentes démesurées. Lemay montre aussi un peu le regard britannique sur Rommel, dont certains généraux commencent à trouver qu’il prend une allure de croque-mitaine pour leurs troupes.
L’auteur montre très bien l’admiration de Rommel pour Hitler et l’évolution de leur relation. On fait complètement bruler la légende du général apolitique qui a été forgée après-guerre. Une légende sur laquelle Lemay revient en fin d’ouvrage de façon très intéressante. On voit aussi s’opérer sur la fin un glissement de Rommel, mais pas vers le complot du 20 juillet 1944, comme le prétendront certains par la suite (là aussi Lemay explique très bien cela à la fin), mais vers une option véritablement chimérique où le général se voyait capable de forcer la main à Hitler pour négocier une paix séparée à l’Ouest. Un aveuglement que Rommel partagea avec de nombreux autres militaires allemands, véritablement incapables de comprendre que la plus grande réussite du régime nazi était d’avoir réussi à cimenter contre lui une alliance qui ne se fissurerait pas entre Londres, Washington et Moscou.
L’auteur montre aussi que Rommel a eu dans l’ensemble pas mal de soucis à appréhender la vision stratégique globale du conflit. Comme certains de ses collègues, il était trop focalisé sur son théâtre d’action pour ne pas comprendre que les priorités de l’état qu’il servait n’étaient pas forcément les siennes. Sans parler de son dédain pour la logistique, un autre point qu’il partagea avec pas mal de légendes des panzers allemands.
Lemay décrit l’usure et la fatigue qui s’installent chez le personnage. La défaite en Afrique du Nord, qui lui est en partie épargnée puisque le régime le rapatrie en Europe pour lui éviter la capitulation, l’impasse en Italie où il se retrouve à nouveau en concurrence avec Kesselring, le partage de la direction avec Von Rundstedt sur le front Ouest… On sent bien que les revers et les contrariétés s’accumulent et pèsent sur le bonhomme.
Jusqu’au moment où il est blessé par un avion allié à l’été 1944, alors que les combats font rage en Normandie. Un peu comme si le destin se rattrapait sur ce personnage qui a si souvent frôlé la mort. L’auteur montre bien que Rommel a esquivé quantité de fois une fin prématurée. Un phénomène renforcé par le fait que Lemay cite plus d’un général allemand qui finit tué en Afrique du Nord. Rommel a indubitablement bénéficié d’une incroyable chance, ce qui aide pas mal à tisser une légende.
L’auteur détaille fortement les derniers jours de la vie du maréchal, avec tout l’enchaînement qui le relie un peu malgré lui au complot du 20 juillet 1944. Un moment où le destin lui fait payer l’addition pour toutes les inimitiés que Rommel s’est créé et tous les egos qu’il a froissé ou piétiné pendant son ascension. Et donc le suicide forcé du personnage, afin de protéger sa réputation et sa famille.
Lemay termine l’ouvrage avec un peu d’historiographie, sur Rommel et en particulier sur la légende de général « propre » qu’on lui a joyeusement accolé après guerre et de la géométrie variable de sa participation ou non au complot du 20 juillet 1944. Une partie que j’ai trouvé très intéressante.
L’auteur s’appuie entre autres sur la riche correspondance de Rommel avec sa femme, ainsi que quelques lettres à son fils, qui ne laisse notamment aucun doute sur l’admiration et l’attachement du général pour Hitler.
Voici donc une biographie fort détaillée, riche et très instructive sur le plus légendaire des généraux allemands de la seconde guerre mondiale. Un ouvrage qui casse quelques mythes, pour celleux qui n’avaient pas encore eu l’occasion de voir cette statue déboulonnée. Sans pour autant enlever au talent tactique du personnage, ni à son authentique courage face au feu.

Erwin Rommel
de Benoît Lemay
éditions Perrin
670 pages, dont notes, bibliographie et index (poche)
disponible en numérique chez 7switch