L’invention de la guerre moderne, de Michel Goya

J’ai déjà chroniqué ici l’un des ouvrages de Michel Goya, colonel d’infanterie de marine en retraite et docteur en histoire militaire. L’individu est maintenant un peu plus connu du grand public par ses apparitions répétées sur les écrans de télévision pour analyser la guerre en Ukraine. Ayant d’autres ouvrages de sa plume en stock, je poursuis ma découverte de son œuvre, avec ce livre-ci.

Comment l’armée française, battue et humiliée par la Prusse en 1870, devint l’une des gagnantes de la Première Guerre Mondiale au point d’être alors considérée comme la première armée du monde ? C’est la question à laquelle répond l’auteur dans cet ouvrage qui, si je ne m’abuse, est tiré de sa thèse de doctorat.

Le thème rappelle celui du précédent livre que j’avais chroniqué : Les vainqueurs explorait la façon dont les armée de l’Entente parvenaient enfin, après des années de blocage, à déverrouiller la situation et à l’emporter enfin sur leurs adversaires. Ici, l’ouvrage se focalise uniquement sur l’armée française et parcourt un spectre historique plus large, couvrant plus de quatre décennies d’évolution, de réflexion et aussi d’échec de l’armée française et de son encadrement.

Que faire quand on a royalement merdé et que l’on espère faire mieux la prochaine fois ? Que ce soit à la guerre, dans le sport, la conduite de projet informatique ou n’importe quelle autre activité, il faut commencer par analyser les raisons de l’échec, avant d’essayer de trouver des solutions. Le principe est simple en apparence, mais comme le montre Michel Goya, dans la réalité c’est parfois nettement plus compliqué. D’abord parce que chercher les raisons d’un échec implique souvent de désigner des responsables et la tentation est grande de cibler des gens incapables de se défendre. Ensuite parce que le contexte politique ne favorise pas forcément les évolutions. Deux doses de régimes napoléoniens ont sévèrement échaudé le pays et la Troisième République naissante se méfie comme de la peste de toute opportunité offerte au césarisme. Enfin, parce qu’une institution comme l’armée a un fonctionnement interne propre, avec une échelle de pouvoir et des gens qui tentent de la modifier et d’autres de la préserver. Bref, c’est très compliqué, surtout en France à cette époque.

L’auteur montre bien toute cette complexité qui va faire que les « bonnes » solutions ne vont pas forcément sortir rapidement. Il présente bien l’éventail des réflexions de l’époque et des différentes écoles de pensée qui se sont confrontées dans ces débats. On voit donc les différentes directions adoptées par l’armée française au cours des quatre décennies séparant les deux grands conflits et le cheminement qui amènent à cet été 1914 qui démarre de façon assez calamiteuse. Néanmoins, la situation n’est plus la même qu’à l’été 1870 et si l’armée française a devant elle encore de gros défis à surmonter elle est encore en capacité d’évoluer.

Michel Goya fait donc une analyse de l’évolution de cette armée à travers quatre années d’un enfer qui broie les hommes comme jamais. Les différentes solutions testées avec plus ou moins de bonheur aux différents échelons sont expliquées. Les mécanismes qui permettent ces évolutions sont décortiqués. Bref, l’auteur montre très bien comme cet organisme effectue une série de mues successives jusqu’à obtenir un outil militaire enfin capable de l’emporter sur son adversaire.

L’ouvrage est émaillé de nombreux extraits de texte des différents penseurs militaires qui analysent, commentent et proposent des idées. Plusieurs tableaux de chiffres apportent aussi des éclairages bienvenus sur divers points. Enfin, l’une des annexes analyse le parcours d’une unité particulière à travers toute la guerre, avec l’évolution de ses pertes et de ses différents moyens au fur et à mesure des opérations.

Bref, voilà à nouveau un ouvrage très intéressant de Michel Goya qui ne m’a pas déçu du tout. C’est précis, c’est clair, c’est bien présenté et on sent vraiment que l’auteur maîtrise son sujet. Pour celleux qui ne souhaitent pas s’enfiler directement ces quelques quatre cents pages, je conseille très vivement l’entretien que Ben de Nota Bene a eu avec Michel Goya, c’est disponible par ici et c’est très instructif. Quand à moi, je ne sais pas encore quel sera le prochain ouvrage de l’auteur que je lirai, j’en ai plusieurs en stock, mais ça ne saurait trop tarder.

L’invention de la guerre moderne – Du pantalon rouge au char d’assaut – 1871-1918
de Michel Goya
éditions Tallandier
480 pages, dont annexes, notes, bibliographie & index (poche)

Disponible en numérique chez 7switch

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