La poussière des rêves, de Steven Erikson

La fin du Livre malazéen des Glorieux défunts se rapproche. Dust of Dreams est le neuvième et avant-dernier volume de la série. Erikson parvient-il à continuer à susciter l’intérêt après des milliers de pages et peut-il encore surprendre ?

Tavore et ses Bonehunters se préparent à quitter l’empire de Lether. Mais pour quelle destination et dans quel but ? Tant les letherii que les troupes de l’Adjunct ignorent encore la destination et le but de cette armée.

L’ouvrage commence par un avertissement de l’auteur. Si chacun des volumes précédents constituait un roman avec son début, son milieu et sa fin, Dust of Dreams n’est cette fois que la première moitié d’un roman qui se terminera dans le volume suivant, The Crippled God. Et on constate en effet que si l’ouvrage a un prologue, il n’a pas d’épilogue. Après huit pavés je comprends que l’auteur ne puisse tout résoudre en un seul volume et qu’il ait fallu scindé l’ouvrage pour permettre son édition. Le présent opus restant l’un des plus épais de toute la série et le dernier étant du même acabit, on a là un corpus de texte qui ne pouvait pas rentrer en un seul volume. Tout ceci a pour effet que la fin de Dust of Dreams ne résout pas grand-chose et laisse beaucoup de situation en suspens. Jusqu’ici, cette série pouvait se lire sans que l’on souffre à la fin de chaque volume de problème de cliffhanger cher a bien des séries de fantasy (mais aussi de SF). Et j’appréciais beaucoup cela. Cette fois, ce n’est pas le cas et vis-à-vis de certains personnages je suis même dans le mystère le plus complet. Sont-ils encore seulement en vie ? Bref, la lecture du dernier volume n’attendra pas bien longtemps.

Si Toll the Hounds était un peu le livre des personnages cassés et abimés, Dust of Dreams est celui des derniers. Le dernier de sa famille. Le dernier de sa tribu. Le dernier de son espèce. On sent chez certains personnages ces états d’âme propres à ceux qui savent que lorsqu’ils s’éteindront, c’est bien plus que leur seule personne qui disparaitra. Dust of Dreams est aussi un roman dans lequel l’auteur évoque régulièrement la poussière et les rêves. Ce genre de jeu était déjà visible dans certains des précédents volumes, comme House of Chains où les chaînes aussi bien physiques que morales étaient omniprésentes. On sent bien que les titres des romans Erikson sont le fait d’un choix réfléchi et ne sont pas là juste parce qu’ils sonnent bien.

Nous sommes à l’avant-dernier volume de la saga mais Erikson introduit de nouveaux personnages dont certains promettent d’être intéressants à suivre. Il y a toujours quelque chose de nouveau à présenter, une culture, un personnage, un lieu, etc. Sur ce plan, l’auteur a toujours sa capacité à faire dans l’original. On retrouve aussi avec plaisir tout un tas de vieux compagnons d’aventure. Tehol et Bugg sont toujours là et continuent leurs échanges surréalistes. On retrouve aussi quelques autres guignols, dont le duo de fantômes Telorast/Curdle et bien évidemment les soldats malazéens dans leur ensemble. Les touches d’humour qu’apportent ces personnages sont indissociables du reste du récit et continuent d’apporter quelques sourires au lecteur et permettent aux personnages de tenir face à ce qu’ils doivent affronter dans un récit qui confine parfois à l’horreur. Elles permettent aussi de souligner de façon bienvenue certaines absurdités.

Sur le plan de l’horreur et de la violence, un passage en particulier de l’ouvrage pourra rebuter, voire carrément dégouter le lecteur. On sait que le destin est parfois fort cruel et Erikson ne s’est pas privé de le rappeler. Mais cette fois, le rappel est peut-être particulièrement violent. Sans entrer dans les détails, l’événement en question n’est pas gratuit même si dans l’absolu l’auteur aurait pu s’en passer. Pourtant, force est de constater la puissance de la plume qui parvient à faire mal avec une force qu’aucune lame ne saurait avoir. Et c’est une illustration de plus du talent de l’auteur qui parvient à véritablement faire vivre des émotions à ses lecteurs. On voit aussi qu’un être à la recherche de vengeance peut-être particulièrement terrible et que cette vengeance détruit probablement tout autant son exécuteur que sa victime.

Cet avant-dernier volume est aussi l’occasion d’offrir quelques surprises au lecteur. Erikson fait monter la tension dès le début en préparant à une séance de lecture de tarot qui rebat les cartes du jeu. Cette idée de Deck of Dragons continue de me fasciner et si Erikson en aura en fin de compte fait un usage assez modéré, chaque apparition du jeu de carte aura marqué un moment important de la série. Et cette nouvelle lecture de carte n’a rien à envier aux précédentes.

L’une des choses que j’apprécie chez Erikson, ce sont ses personnages. Pas simplement pour leur originalité ou leur caractère, mais aussi parce qu’il sait leur donner un semblant de réalité. J’ai déjà souligné le fait que tous ont leur ambition ou leurs objectifs et que même au sein d’un groupe soudé, on finit par apercevoir des divergences. Chacun existe avant tout pour lui-même. Ce que j’apprécie aussi, c’est le fait de confier à chaque personnage sa dose d’intelligence et de sagesse. Nul besoin d’être un grand sage pour s’interroger sur le sens de l’existence, sur le pourquoi du conflit en cours, etc. Même ceux parfois en apparence un peu idiot ont leurs angoisses existentielles. Tout ça sans tomber dans l’excès inverse. Erikson sait aussi mettre en scène l’ambiance des camps militaires en attente d’une campagne ou d’une bataille. Que ce soit l’ennui qui ronge petit à petit les troupes lorsqu’aucun objectif ne leur semble assigné et qu’elles ne semblent plus avoir pour avenir que la monotonie de la vie de garnison. Ou que ce soit l’angoisse et la tension précèdant les batailles, ces moments où les soldats se chamaillent et font toutes les conneries du monde pour s’occuper en évitant de penser à ce qui les attendent au prochain affrontement. On voit aussi les états d’âme des chefs (en tout cas de certains) qui sentent bien le poids de leurs décisions. Et pas seulement vis-à-vis des soldats qu’ils risquent de faire tuer mais aussi des conséquences possibles d’une bataille à venir. Les petits et les grands mortels ne sont pas les seuls à avoir des soucis moraux. Les Elder Gods ont eux aussi leurs angoisses existentielles. Quand on a disposé d’un pouvoir immense pendant parfois des dizaines de milliers d’années, peut-on contempler sereinement sa possible fin prochaine ? Les réactions face à ces défis sont évidemment aussi variées que les protagonistes.

Après huit volumes, on a pas mal d’informations à propos de quoi sont faites les grandes lignes de l’intrigue et des raisons pour lesquelles les grandes forces de ce monde se sont mises en branle. Pourtant, Erikson parvient à surprendre encore un peu en dévoilant un enjeu supplémentaire. Un enjeu conséquent et qui éclaire sous un autre angle les agissements de certains personnages et leurs motivations. On comprend, en même temps qu’une partie des protagonistes, que certaines manipulations nous ont probablement échappé. Cette révélation augmente un peu le niveau des enjeux, restant ainsi dans cette optique grandiose du cycle. Mais je trouve aussi intéressant que les enjeux présentés dans cette série soient nombreux, variés et de différentes échelles. Je pense que cela va bien de pair avec la diversité des objectifs personnels.

Dust of Dreams étant la première moitié d’un très long roman il n’y a pas grand-chose de résolu à la fin. Et contrairement à tous les volumes précédents on se retrouve même avec quantité de personnages dont on ignore l’état. Je suis d’ailleurs bien content que sur les précédents volumes Erikson livrait des romans complets. Vu sa capacité à poser des cliffhangers angoissants, j’aurais connu des fins de lecture stressantes. Ce volume prépare la grande convergence finale. Le début donne bien cette sensation de préparatifs avant le déclenchement d’événements importants et quand l’action se manifeste finalement, elle prend presque par surprise.

La fin de Dust of Dreams n’est évidemment pas satisfaisante et elle ne pourrait pas l’être. Erikson a habitué à livrer des romans complets, chaque ouvrage se terminant par un épilogue qui conclut l’ouvrage. Ceci permettait de reposer le livre avec un certain contentement même si le destin avait parfois, voire souvent, été cruel avec les personnages. Et l’on pouvait laisser le temps s’écouler sereinement avant de replonger dans cet univers pour une nouvelle histoire. Cette fois on reste au milieu du gué avec même une certaine angoisse et il va falloir lire l’ultime épisode de cette saga, The Crippled God, pour connaître le fin mot de l’histoire.

mbotf09La poussière des rêves (Dust of Dreams)
de Steven Erikson
traduit par Nicolas Merrien
illustration de Steve Stone/Marc Simonetti
éditions Léha (Bantam/Tor)
environ 800 pages (grand format) environ 1280 pages (poche)

disponible en numérique chez 7switch

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9 réflexions sur « La poussière des rêves, de Steven Erikson »

  1. C’est vrai que l’absence de fin peut dérouter, voire décevoir. Mais, cela doit valoir le coup d’arriver au bout de l’aventure. J’ai été agréablement surprise par le premier tome, et je compte continuer cette série. Je me suis fixée un par an!

    Merci, je me pourlèche les babines d’avance.

    1. Dans la mesure où Erikson prévient son lecteur dès le début de l’ouvrage, on s’y fait bien. Je trouve d’ailleurs très sympa de sa part d’avoir intégré cet avertissement en préambule. On a pris l’habitude d’avoir des romans complets, au contraire de beaucoup de séries de fantasy depuis un bon moment. Par contre, ça motive justement à ne pas attendre un an avant de lire le dernier volume. 🙂
      Tu t’es lancé directement en anglais ou tu lis les deux premiers romans en français avant de changer de langue ? En tout cas, tu vas voir au deuxième roman que le premier est en réalité le plus faible de la série.

  2. Je lis directement en anglais, vu que seuls les deux premiers tomes ont été publié.
    Cela n’a pas été évident initialement car le niveau de langue est plus riche que ce que je lis en VO habituellement. Mais bon, cela n’a pas été un frein au plaisir degagé par cette histoire.

    Un par an, c’est trop faible ? je passerai à 2 par an, alors.

    1. Un par an c’est déjà un bon défi, surtout qu’à partir du troisième ça devient vraiment de sacrés pavés. 🙂
      C’est surtout pour les deux derniers qu’il vaut mieux ne pas trop attendre, vu que c’est un même roman en deux volumes.
      Effectivement, au début ça peut être un peu difficile au niveau de la langue et j’ai moi aussi été un peu surpris. Mais on s’y fait et surtout je trouve que ça contribue vraiment à la qualité de la série.

  3. Une nouvelle traduction est en cours, Emmanuel Chastelière retraduit le tome 1 , les tomes 3, 4 et 5 son tdéjà traduit par Nicolas Merrien et un accord a été trouvés même si on ne sait pas encore les détails.
    On devrait en apprendre plus bientôt mais Je vois bien une sortis des 5 premiers tomes en vf assez rapidement une fois les 2 premiers tomes retraduits.

    1. J’ai vu passé ça et j’ai une idée de l’éditeur derrière. Personnellement, je ne crois pas au succès de cette affaire. J’aimerai bien me tromper mais voir une maison d’édition qui n’a même pas dix livres à son catalogue se lancer dans la publication d’une décalogie de pavés à traduire/retraduire. Sortir cinq volumes d’une même série (disons en un an) c’est à la limite du suicide pour une maison d’édition. C’est un énorme investissement qui peut faire très mal si le succès n’est pas au rendez-vous (même aidé par un crowdfunding). Et ce ne serait pas pour tout de suite puisqu’il faudrait attendre la retraduction complète des deux premiers romans. Ces derniers sont d’assez gros pavés, même s’ils sont plus petits que les suivants. Ajoutons à cela le fait que Chastellière ne traduira probablement pas les deux volumes d’une traite, sauf s’il décide de mettre sa carrière d’auteur en pause dans l’intervalle.

      Bref, bonne chance à eux, mais je ne mise pas un radis dessus.

      1. Personnellement j’y crois, si ils retraduisent c’est peut-être aussi pour diminuer le coût des d’achat droits, pas besoin de racheter une traduction. Rien ne dit qu’Emmanuel Chastelliere traduira aussi le tome 2, ça pourrait très bien être Nicolas Merrien (qui a traduits 3 tomes) qui traduit celui-là.

        C’est un gros pari pour eux mais si ça marche ça va les faire sortir de l’ombre. Il faut encourager ces initiatives vu que les gros acteurs (Bragelonne et autres ne veulent pas se lancer et risquent de se mordre les doigts si ça marche).
        En plus, vu l’illustrateur qui semble être impliqué je le vois mal se lancer dans un projet mort né vu qu’il a suffisamment de succès pour s’en passer.
        L’avenir nous le dira, j’espère avoir raison d’espérer 🙂

        1. Racheter les droits d’une traduction coute bien moins cher que d’en refaire une (parfois les reprises de trad sont payés des clopinettes), c’est d’ailleurs pour ça qu’il est assez rare que l’on retraduise des textes déjà traduits une première fois, même si cette première traduction n’est pas terrible. Donc faire retraduire les deux premiers volumes augmente sensiblement le coût de l’affaire (et donc le risque).
          Le fait qu’un éditeur comme Bragelonne ne s’y soit pas lancé (malgré la tentation) en dit justement long sur le risque et l’ampleur du pari. Pour donner un ordre d’idée, un autre éditeur avait donné une estimation à la louche du coût de traduction de l’ensemble des dix romans : 200.000 €. Ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval.
          Quand au chemin vers la gloire, il faut savoir grandir à un bon rythme et ne pas aller trop vite. Là, je pense que le nouvel éditeur brûle les étapes et risque fort de se vautrer.

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