Pourquoi Hitler n’a pas eu la bombe atomique, de Nicolas Chevassus-au-Louis

J’ai déjà parlé ici d’un ouvrage la collection Mystères de guerre des éditions Economica, Assaut sur Malte ! de Charles Turquin. J’ai poursuivi un peu mon exploration de cette collection avec un livre à l’orientation nettement moins uchronique mais qui pose une question intéressante : Pourquoi Hitler n’a pas eu la bombe atomique, écrit par Nicolas Chevassus-au-Louis.

L’ouvrage démarre par la fin de l’histoire. Nous sommes le 6 août 1945 et la nouvelle du bombardement atomique d’Hiroshima parvient aux physiciens et chimistes allemands retenus prisonniers dans un cottage près de Cambridge. Leur lieu de résidence étant truffé de micro, on connait avec une exactitude assez impressionnante leurs commentaires et leurs réactions à cette annonce.

L’auteur revient ensuite en arrière et tente de répondre à la question qui sert de titre à l’ouvrage. On repart donc quelques mois avant le déclenchement de la guerre, quand Otto Hahn parvient à réaliser la fission de l’uranium. On voit alors l’état de la science en Allemagne, qui conserve encore une certaine avance sur le reste du monde sur la question atomique et ceux même en tenant compte des départs de plusieurs savants du fait du régime nazi.

L’auteur expose alors une différence majeure entre le programme américain, le projet Manhattan, et leurs concurrents allemands : leur pluralité. Car il n’y pas un ni même deux programmes atomiques allemands. Il y en au quatre, dont un dirigé… par la poste allemande. Et si dit ainsi cela semble totalement improbable, c’est pourtant non seulement la réalité mais aussi une belle illustration du système nazi. Effectivement, le régime hitlérien a eu pour constante de générer et maintenir une concurrence permanente entre les services et les industries. Le salaire de la destruction, pavé sur l’économie du troisième Reich écrit par Adam Tooze, parle très bien de ce sujet (lecture que je recommande chaudement à ceux qui veulent voir voler en éclat le mythe du succès économique de l’Allemagne nazie). Il n’est donc pas étonnant que sur le sujet de l’énergie et de l’arme atomique il en soit allé comme sur tout le reste : chacun tentait de monter son projet pour briller auprès du führer.

Cet éclatement des projets va provoquer un éclatement des ressources humaines et matérielles. Combiné à des choix changeants sur les priorités industrielles du pays, voire à l’absence de choix à ce sujet, ces projets n’auront jamais vraiment les moyens rattraper le projet américain. L’auteur présente aussi les problèmes de matières premières, notamment sur des composés comme l’eau lourde, qui a fait l’objet d’un véritable effort de la part des alliés pour en priver leur adversaire. Il évoque aussi les explications apportées après guerre par certains pour expliquer cet échec : les savants allemands n’étaient pas assez bons. L’auteur montre clairement qu’il n’en est rien.

J’ai trouvé assez fascinant le fait que l’on dispose des retranscriptions des conversations que tenaient entre eux en captivité les scientifiques allemands. On a là un assez rare exemple d’un matériau de première main donnant une fenêtre sur la pensée de gens qui ignoraient même être enregistrés. A l’opposé, l’auteur évoque aussi un événement possible et dont quasiment aucun document ne semble conserver la trace : la possibilité d’un essai atomique allemand, en mars 1945. La thèse défendue est un poil surprenante et les éléments proposés pour la soutenir ne manquent pas de faiblesse, chose que l’auteur a l’honnêteté de reconnaitre.

Enfin, l’auteur parle de la fin du conflit et de la façon dont les différentes puissances ont essayé de mettre la main sur les scientifiques allemands, au besoin en faisant quelques entorses aux accords passés entre eux. Il est aussi question de la mémoire des événements et de la façon dont certains ont tenté de réécrire leur histoire après le conflit, en s’inventant par exemple une résistance des scientifiques qui auraient sciemment retardé leurs travaux pour ne pas livrer une bombe atomique aux nazis. L’auteur montre que tout ça est évidemment bien plus nuancé et que le degré d’implication et de motivation est bien varié d’un scientifique à l’autre.

J’ai trouvé que dans l’ensemble, cet ouvrage assez court répond plutôt bien à la question qu’il pose. Les différentes raisons pour lesquelles le troisième Reich ne put disposer d’armes nucléaires sont bien exposées. Quelques parallèles avec le projet Manhattan sont tracés et l’on voit d’ailleurs les inquiétudes du patron de ce dernier, Leslie Groves, concernant les progrès faits (ou non) par les allemands. Si la thèse sur le possible essai nucléaire en Thuringe peut ne pas convaincre (j’avoue rester sceptique), j’ai trouvé très intéressant l’utilisation des retranscriptions des conversations en captivité.

Pourquoi Hitler n’a pas eu la bombe atomique
de Nicolas Chevassus-au-Louis
éditions Economica
121 pages, plus bibliographie (grand format)

Retour au sommaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *