The Baroque Cycle, de Neal Stephenson

J’ai déjà dit tout le bien que je pense de Neal Stephenson et de son œuvre. Une bonne partie de cette dernière n’étant pas disponible en français, je me suis tourné vers la version originale. C’est en particulier le cas pour sa trilogie Baroque Cycle, vaste ensemble de plus d’un million de mots. Mais de quoi cela parle-t-il ?

L’histoire commence en 1713 lorsque Daniel Waterhouse, puritain installé à Boston et membre de la Royal Society reçoit une lettre de la princesse Charlotte d’Ansbach, future reine du Royaume-Uni, lui demandant de revenir en Europe pour tenter de mettre fin à la dispute entre Newton et Leibniz. On revient alors sur la première rencontre entre Daniel et Isaac Newton, un demi-siècle auparavant.

Récit composé de huit livres, groupés sous forme de trois volumes (Quicksilver, The Confusion, The System of the World), le Baroque Cycle est une grande fresque historique couvrant un demi-siècle de l’histoire politique, scientifique, monétaire et économique de l’Europe. Un projet ambitieux et un peu dingue, d’autant plus qu’il est en partie lié à l’œuvre précédente de Neal Stephenson : le Cryptonomicon. En effet, certains des personnages du Baroque Cycle, à commencer par Daniel Waterhouse, sont des ancêtres de ceux du Cryptonomicon.

Tout cela représente un volume de texte considérable, avec une multitude de personnages, de lieux et d’intrigues. Si les personnages principaux sont fictifs, ainsi qu’un certain nombre de personnages secondaires, on croise tout de même dans cette fresque de nombreuses figures historiques. Bien évidemment, Newton et Leibniz et d’autres scientifiques de l’époque comme Huygens, Boyle ou Hooke, mais aussi des figures politiques, artistiques ou militaires. Le récit est tout aussi riche d’événements, les fictifs côtoyant là aussi les réels. Tout ça foisonne au point qu’on s’y perd un peu parfois.

Ce qui peut être intéressant dans un roman historique, c’est de ne pas simplement utiliser le contexte historique comme simple prétexte de dépaysement mais de faire usage de ses spécificités. De montrer au lecteur en quoi l’intrigue ne peut se produire que dans ce contexte, par opposition au nôtre. Stephenson sait parfaitement en user et va mettre en scène divers aspects des mécanismes économiques, financiers et monétaires de l’époque. Le lecteur peut d’ailleurs constater par moment que si la mise en œuvre est parfois bien différente d’aujourd’hui, les choses n’ont pas forcément beaucoup changées sur le fond. La manipulation des marchés boursiers n’est par exemple pas une nouveauté.

Le Baroque Cycle est en partie un grand roman d’aventure, où l’on fera le tour du monde, on verra de l’action, une révolution, un grand incendie, des batailles, etc. Mais c’est aussi une fresque historique qui raconte des évolutions de la science et de la finance. L’univers décrit par Stephenson est précurseur de celui du Cryptonomicon et on a pas mal de réflexion sur la valeur de l’argent papier contre l’argent matériel, les reconnaissances de dettes qui ne sont que de l’encre sur du papier, etc. On y parle aussi beaucoup de sciences. On voit de quelle façon les esprits scientifiques de l’époque, au premier rang desquels Newton et Leibniz essayent d’ordonner le monde et d’en comprendre les mécanismes. C’est notamment l’occasion d’assister à quelques expériences qui paraissent parfois saugrenues mais qui illustrent bien l’état de la science à l’époque et de quelle façon s’est construit le raisonnement scientifique moderne. Tout en ne négligeant pas les aspects un peu étrange de la science de l’époque, tel que la pratique de l’alchimie.

Le Baroque Cycle est aussi un roman dans lequel l’auteur parle un peu de géopolitique et nous fait assister à certains événements déterminants de l’époque. On verra ainsi l’opposition entre Habsbourg et Ottomans, les changements dynastiques à la tête de l’Angleterre ou encore les manœuvres diplomatiques et les guerres de Louis XIV. Stephenson a aussi su garder présente la dimension religieuse, indissociable des enjeux politiques dans de nombreux cas.

Dans ce très long roman, l’auteur s’est permis de temps en temps quelques petites fantaisies sur la forme, en écrivant ici un passage façon comédie musicale ou bien là à la manière d’une pièce de théâtre. Le texte fait aussi régulièrement un mélange entre les expressions, vocabulaire et orthographe moderne et de l’ère baroque.

Le Baroque Cycle est un très long roman. Peut-être trop. La diversité des sujets abordés et l’ampleur tant spatiale que temporelle du récit fait  que l’on peut passer par des moments qui entraînent moins le lecteur. Mais personnellement, je ne regrette pas du tout cette diversité. Le foisonnement de personnages, de lieux, de thèmes qu’aborde Stephenson font vraiment de ce cycle une œuvre à part. J’en ai étalé la lecture sur plusieurs années, accompagnant les personnages tout au long d’une histoire qui pour eux dure plusieurs décennies. Et une fois arrivé à la fin, j’ai connu ce sentiment que l’on a parfois lorsque l’on termine quelque chose au long cours : une satisfaction d’être arrivé au bout mêlé d’un peu de tristesse de dire au revoir aux personnages.

The Baroque Cycle (Quicksilver, Confusion & The System of the World)
de Neal Stephenson
éditions Arrow Books & HarperCollins
927, 815 et 892 pages (grand format)

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