La tragédie de P, de Rumiko Takahashi

Ayant déjà chroniqué de la bd franco-belge et du comics, il n’est pas surprenant que je sois aussi lecteur de manga. Voici donc ma première chronique sur une œuvre de ce type. Mais comme je ne compte pas dans l’immédiat faire de chronique sur une série interminable, comme Detective Conan dont j’ai dépassé la centaine de volumes, je vais plutôt m’intéresser aujourd’hui à un recueil de récits courts et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du premier des recueils de l’incontournable Rumiko Takahashi.

Si cette dernière est surtout connue pour ses longues séries et leurs adaptations animées, comme Urusei Yatsura (aussi connu sous le nom de Lamu chez nous), Inu Yasha et bien sûr l’inoxydable Ranma 1/2, elle a aussi au cours de sa carrière produit de nombreuses histoires courtes qui sont reprises en plusieurs volumes. Voici donc le premier d’entre eux, dont le titre est celui de la première nouvelle graphique qu’il contient.

On commence par La tragédie de P. Madame Haga est mère de famille et son mari lui confie la garde du pingouin de l’un de ses clients. Problème : le règlement de leur immeuble prohibe les animaux domestiques. Et l’une de leurs voisines veillent attentivement au respect des règles. Ce qui doit être un secret ne l’est pas longtemps et Takahashi propose quelques petites situations comiques où Madame Haga se fait de belles frayeurs. En une trentaine de planches, on voit comment Madame Haga s’attache à ce pensionnaire encombrant, les raisons du comportement de sa voisine, les interactions de P avec son entourage. Tout ça avec une humour et un peu de finesse.

Changement d’ambiance avec Une marchande de romance. Yukari a hérité de son père un salon de mariage. Malheureusement, l’établissement est en mauvais état, le personnel pas forcément en phase avec les goûts du moment et Yukari peine donc au point d’envisager la liquidation de l’affaire. L’autrice met en scène toute une petite galerie de personnages : les employés de Yukari, dont un jeune homme qui a peut-être des sentiments pour elle, son ex-mari, un ancien client de son père… Et elle tisse une intrigue faite de préoccupation très terre à terre (la nécessité du financement) avec les rêves romantiques que peut convoquer la cérémonie du mariage. Yukari est un personnage très intéressant de ce point de vue : elle participe à produire ce rêve tout en en étant elle-même revenue puisque divorcée. Takahashi écrit une histoire très fine, avec une petite fibre romantique, teintée d’humour et où elle parvient aussi à tromper de nombreuses attentes puisque à peu près aucun personnage n’aura ce qu’iel espérait sous la forme attendue. Un belle exemple de son talent.

Dans La maison des poubelles, on s’intéresse à un sujet très prosaïque : les ordures. Ritsuko s’agace parce que des gens déposent leurs ordures à côté de leur maison et non au point de passage prévu à cet effet. Elle espère bien coincer les fautifs pour s’expliquer avec eux. Mais leurs nouveaux voisins se révèlent être le patron du mari de Ritsuko et sa femme. Un couple qui semble entretenir un rapport compliqué aux très nombreux souvenirs ramené de voyages dans le monde entier. Comme souvent dans ce genre d’histoire, Takahashi intègre une bonne dose d’humour, avec des personnages qui se retrouvent coincés à ne pas pouvoir s’expliquer correctement, des situations agaçantes qui se répètent, etc. On retrouve le problème des relations supérieur-subordonné dans les entreprises japonaises qui est à l’origine de l’histoire La tragédie de P. Cette fois, cette relation a plus d’importance sur l’intrigue. Le rapport au souvenir et les difficultés au sein d’un vieux couple à s’aligner sur leur gestion est un thème que l’autrice traite avec une certaine justesse, peignant des relations humaines qui semblent parfois un peu exacerbées mais sans jamais aller trop loin au point de les rendre incroyables.

L’humour est par contre bien absent de Dans le pot de grès. Une voisine de Mme Tonegawa se voit confier par cette dernière une série de plantes. En cassant par accident un pot, la voisine va faire une découverte inquiétante dans le pot en question. Si ce récit n’a rien de drôle, il est par contre chargé en émotion et en drame. Il y est question de relation délétère et abusive entre une femme et sa belle-mère, de veuvage et de deuil. Mais aussi de l’effet néfaste des rumeurs, surtout quand elles sont propagées par une manipulatrice. Une histoire touchante qui met en garde sur les rumeurs.

On retrouve l’humour dans Un amour de cent ans. Après une longue et belle vie, Risa Hoshino décède à quatre-vingt-dix ans… enfin presque puisque la vieille dame semble reprendre vie après qu’une infirmière ait ramassé le médaillon de la défunte. Cette dernière se retrouve dotée de télékinésie et décide de s’intéresser à un jeune patient qu’elle a croisé dans l’hôpital où elle se trouve. Takahashi propose une histoire avec un brin de fantastique, une relation maladroite, des souvenirs déformés et la tentation de plaquer sur les autres son expérience personnelle. C’est amusant, notamment du fait d’une petite pirouette finale qui rappelle bien qu’il s’agit de l’autrice de Ranma 1/2.

Le recueil se termine avec Le bonheur taille XL. Hanako se prépare à accueillir sa belle-mère. Cette dernière va emménager chez son fils et sa belle-fille. L’objectif étant de lui permettre de les aider à financer l’achat d’une maison. Cependant, la cohabitation entre Hanako et sa belle-mère va connaître quelques écueils. Takahashi va à nouveau chercher du côté des créatures fantastiques traditionnelles et nous propose une histoire pleine de quiproquos qui mettent à rude épreuve les nerfs de la pauvre Hanako.

Ce fut un grand plaisir de relire ce recueil d’histoires courtes. J’aime énormément ce que fait Rumiko Takahashi dans ses séries longues, mais elle montre aussi tout son talent dans ce type de récit. Graphiquement, elle connait parfaitement son art. Elle met quelques personnages qui dépassent du cadre, elle rend visuellement très bien les émotions. Et si tous ses personnages ont un air de famille, on peut pourtant distinguer les protagonistes de ces six récits, comme le montre bien la couverture (et sa quatrième) où ils défilent sans que l’on ait de problème à les différencier. On trouve notamment dans ces histoires beaucoup de choses d’une vie plus ordinaire que celle de la plupart de ses héros et héroïnes de série longue – à l’exception de Maison Ikkoku très centrée sur cette normalité. Elle sait traiter des thèmes parfois tragiques avec justesse, émotion et souvent une dose plus ou moins importante d’humour. Je crois que je ne m’en lasserai jamais.

La tragédie de P (Takahashi Rumiko Gekijo Vol.1)
de Rumiko Takahashi
traduit par Kevin Stocker
éditions Delcourt / Tonkam
200 pages

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