Il y a des auteurices qui publient des dizaines de romans et des centaines de nouvelles et d’autres dont la production est nettement plus limitée mais qui parviennent pourtant à écrire des textes qui marquent un peu leur lectorat. Gardner Dozois est peut-être dans la deuxième catégorie. Surtout connu pour son important travail d’anthologiste, notamment en compagnie de George R. R. Martin, il a aussi écrit quatre romans dont trois en collaboration et un seul en solo : L’étrangère.
Joseph Farber fait partie de la mission humaine présente sur Lisle et c’est pendant une cérémonie locale qu’il fait la rencontre de Liraun Jé Genawen. La relation qui s’engage entre les deux individus a-t-elle une pérennité ou bien est-elle condamnée à brève échéance du fait de l’altérité entre leurs deux espèces ?
Ce roman n’est pas très long, l’intrigue est relativement simple et n’empile pas les rebondissements, ni ne multiplie les personnages. Alors qu’est-ce qu’on y trouve ? Des choses intéressantes.
D’abord, je trouve que Dozois décrit bien la société de Weinunach, le nom local de Lisle, avec ses traditions, sa structure sociale, ses disparités. On a quelques passages qui pourraient vite virer au gros pavé explicatif mais que j’ai lu avec intérêt sans me sortir du récit.
Ensuite, il y a la relation entre les deux protagonistes. Une relation que l’on voit surtout par le biais d’un Farber qui peine parfois à comprendre les raisons derrière les agissements de sa compagne. Une incompréhension dont on perçoit le miroir chez Liraun. L’auteur fait bien sentir toute l’étrangeté de ce que ne comprends pas Farber. Et on voit par moment qu’il est compliqué pour l’autre d’essayer d’expliquer quelque chose que les mots peinent à porter.
Enfin, si l’intrigue n’est pas très longue, elle n’est pas sans impact. Sa fin s’anticipe légèrement, sa compréhension m’étant venue un peu plus tôt que pour le protagoniste. Ce qui pour moi a augmenté la perception de l’étrangeté pour Farber de ce à quoi il fait face. L’effet monde étrange et révélation finale m’a agréablement rappelé Le moineau de Dieu de Mary Doria Russell.
Quelques mots sur les éditions française de ce roman. Je l’ai lu dans la version Présence du Futur des éditions Denoël, qui semble la première dans notre langue. L’édition disponible au moment où j’écris ces lignes est celle des éditions Pocket, sous le titre Étrangers qui est plus proche de l’original, Strangers, et a le mérite de ne pas focaliser complètement l’attention sur la perception de Liraun par Farber, puisque l’on voit dans le récit que le caractère étranger est réciproque. Enfin, entre ces deux éditions, une version a été proposée par les éditions ActuSf. Une édition qui m’agace particulièrement du fait d’une couverture franchement putassière qui semble avoir été commandé par quelqu’un qui n’a pas lu le roman.
Bref, ce roman est non seulement un livre assez court qui se lit bien et peut marquer ses lecteurices, mais c’est aussi une démonstration que Gardner Dozois n’était pas seulement un anthologiste remarquable. C’était aussi un auteur talentueux.

L’étrangère / Étrangers (Strangers)
de Gardner Dozois
traduit par Jacques Guiod
illustration de Aurélien Police
éditions Pocket
256 pages (poche)