Le Melkine, d’Olivier Paquet

Depuis environ un an, les éditions L’Atalante ont lancé plusieurs séries francophones ambitieuses. J’ai déjà écrit à propos du premier volume du Sang des 7 rois de Régis Goddyn, et je devrais m’occuper prochainement du volume suivant. Les deux autres séries proposées relèvent de la SF. Aujourd’hui, je vais m’intéresser au Melkine, premier volume de la trilogie du même nom, écrit par Olivier Paquet.

Le Melkine est un vaisseau qui voyage sans cesse entre les systèmes stellaires occupés par l’espèce humaine. Son objectif est de sélectionner les enfants les plus prometteurs des différents mondes et de leur offrir un enseignement permettant de les affranchir des conditionnements culturels auxquels ils sont soumis. Les anciens élèves se disséminent ensuite entre les mondes pour y propager des modes de pensée affranchis de ces conditionnements.

Le livre a un rythme assez lent et contient peu d’action, voire pas du tout. Ceci n’est pas en soi un défaut, mais comme on va le voir plus loin, un minimum d’action n’aurait pas fait de mal. Les personnages ne sont pas transcendants, loin de là, et ne donnent que très moyennement envie de s’intéresser à eux. Voila un problème régulier de certains ouvrages de science-fiction et des auteurs comme Arthur C. Clarke ou Stephen Baxter sont coutumiers du fait, mais ils proposent généralement des univers fouillés dans lesquels ils exploitent des idées intéressantes. Malgré tout, il est un peu curieux que les élèves du Melkine ne s’expriment ni comme les jeunes de quinze ans qu’ils sont, ni n’agissent comme les génies qu’ils sont plus ou moins censés être. On est loin de ce que Card a fait dans la Stratégie Ender.

Le roman dispose aussi de son méchant ou plutôt sa méchante, la Technoprophète, dont l’ambition est d’imposer sa fréquence à tous les systèmes stellaires afin d’éliminer tous les conditionnements. L’objectif final semble en partie identique à celui du Melkine, mais la méthode diffère. Le personnage de la grande méchante aurait pu être intéressant, si l’auteur avait su en faire quelque chose. Malheureusement, on en saura pas plus que le rappel de l’incident qui provoquera le choix de ce personnage. Rien ou presque sur la façon dont elle gouverne plus ou moins les mondes de sa Fréquence et rien du tout concernant son accession au pouvoir.

L’univers présenté dans le Melkine est celui d’une diaspora humaine dont les systèmes stellaires sont « reliés » par des Fréquences. Ces dernières semblent être des sortes de diffusions de signaux télé ou radio qui abreuvent les populations de leur zone d’influence. En fait, on glane trop peu de détails sur ces Fréquences au cours des trois cents pages du bouquin, en tout cas pas suffisamment pour s’en faire une idée précise et pour savoir en quoi ces Fréquences peuvent tant influer sur les populations auxquelles elles s’adressent. A croire que les gens n’ont pas de média au niveau « local » (c’est à dire planétaire). Le voyage supraluminique n’existant pas dans cet univers, les Fréquences semblent un moyen de rassembler plus ou moins l’humanité en quelques entités.

Le problème avec un ouvrage qui place les questions de distance et de temps de parcours comme un élément important de l’univers créé, c’est qu’on peut avoir envie de voir par soi-même ce qu’il en est. Et l’on s’aperçoit alors rapidement que les distances et les temps de parcours ne cadrent pas. Et une fois que l’on a commencé à tirer sur le bout de laine qui dépasse, on détricote tout l’ouvrage. Ainsi, le temps subjectif de parcours d’un monde a l’autre est apparemment d’environ un mois. Comment est-il alors possible qu’une même classe comporte des élèves provenant de près d’une vingtaine de mondes différents ?

On trouvera d’autres incohérences du même genre ici et là dans l’ouvrage. Comme le fait que la Technoprophète essaie inlassablement de croiser la route du Melkine, sans y parvenir, alors que ce dernier passe pourtant à intervalle de temps plus ou moins régulier dans le système de Babil-One et donc qu’il suffirait à quelqu’un ayant la patience des siècles d’y attendre quelques années pour avoir la certitude d’y coincer le vaisseau. Il semblerait aussi que certains systèmes ne sont séparés que par quelques mois-lumière ce qui donne des temps de communications trop longs pour permettre sérieusement des échanges, etc. On se demandera comment l’empire britannique a pu dominer toute une partie du monde en ayant le même genre de handicap à l’ère de la marine à voile.

Ce roman semble pourtant essayer de faire passer un message, vu le jour favorable sous lequel est présenté le Melkine (le monde universitaire) et la mise en scène négative de la Technoprophète (les médias de masse). Les concepteurs du Melkine ont apparemment cru que disséminer quelques dizaines d’anciens élèves toutes les n années parmi quelques milliards d’humains suffirait pour avoir une influence à long terme. Personnellement, je trouve ça d’une naïveté sans borne. D’autant plus que la présentation du vaisseau laisse entendre qu’il s’agit un peu de ce qu’il se fait de meilleur en terme d’enseignement. A croire que le reste de l’humanité n’a pas droit à une éducation digne de ce nom, et dans ce cas d’où viennent les enseignants qui n’ont pas auparavant été élèves du Melkine ?

Résumons un peu. Pas d’action, des personnages sans consistance, un univers sans cohérence, des idées sans intérêt. Que reste-t-il de l’ouvrage ? Ça se lit rapidement. Et la couverture est bien. A part ça, ceux qui veulent savoir comment on peut utiliser le principe de la sauvegarde de la connaissance pour offrir un avenir à l’humanité, dans un contexte de space-opera, pourront sans problème s’orienter vers Fondation, le grand classique d’Asimov. La fin de l’ouvrage laisse vaguement supposer une « guerre » des Fréquences. N’ayant toujours pas une idée claire de ce dont il s’agit, j’avoue ne pas être emballé par l’idée, et quand il me reprendra l’envie de voir comment on peut engager un conflit entre des systèmes séparés par des années de voyage, je relirais la novella Starfall de Stephen Baxter. J’attendais un roman intelligent et j’ai eu un livre naïf, voire niais. En attendant, j’aimerais bien un truc avec de l’action. Je vais peut-être me lire un petit Honor Harrington. Au moins, je sais à quoi m’attendre et je ne serais pas déçu.

Le MelkineLe Melkine
d’Olivier Paquet
illustration de Manchu
éditions L’Atalante
336 pages (grand format)

Si vous vous tentez l’expérience vous-même, vous pourrez le trouver par ici. Mais vous aurez été prévenu.

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10 réflexions sur « Le Melkine, d’Olivier Paquet »

  1. « Résumons un peu. Pas d’action, des personnages sans consistance, un univers sans cohérence, des idées sans intérêt. Que reste-t-il de l’ouvrage ? Ça se lit rapidement. Et la couverture est bien. »

    La méga classe 🙂

  2. Je peux comprendre que le livre ne te plaise pas mais je n’arrive pas à retrouver « Le Melkine » que j’ai lu dans tes descriptions. Je dois dire que, de mon côté, j’ai adoré la « lenteur », l’université-vaisseau (la concrétisation d’un vieux fantasme) mais, surtout, ça faisait longtemps qu’un space opera n’avait pas réveillé l’envie des étoiles chez moi, ce petit émerveillement quand on regarde le ciel et qu’on rêve de s’y perdre. Du coup, c’est le genre de livre que j’offrirais en pensant (en espérant) faire plaisir… Et la couverture est effectivement superbe.

    1. J’ai parcouru plusieurs chroniques sur le bouquin, dont la tienne, avant d’écrire la mienne, et j’avoue ne pas comprendre où tu as pu voir quoi que ce soit propre à réveiller l’envie des étoiles. Pour moi, c’est le mystère, la découverte, l’ailleurs, le différent. Dans le Melkine, ça se résume à un lycée dans un vaisseau spatial et c’est assez avare en description qui décoiffent.
      Pour moi, des livres qui réveillent l’envie des étoiles, ce sont Les machines de Dieu de McDevitt avec le trip xéno-archéologie et son mystère, c’est Gradisil de Roberts avec le côté nouvelle conquête de l’espace, c’est Accrétion de Baxter avec son voyage sur des centaines de millions d’années-lumière qui en colle plein les mirettes. Mais pas une salle de classe avec ces à côtés coincé dans un vaisseau (sans personnalité d’ailleurs).
      L’espace qui me fait rêver ce sont les nébuleuses magnifiques, des étoiles binaires, triples ou plus (Tatooine power), des champs d’astéroïdes, des couronnes stellaires, des géantes gazeuses de toutes les couleurs avec des anneaux à faire pleurer Saturne de jalousie.
      Il y a quelques semaines j’ai lu, pour la première fois, l’intégralité de la BD Universal War One. J’ai pris une sacrée raclée parce que justement il y a ce sense of wonder que j’attends d’un space-opera. Les étoiles qui me font rêver c’est la claque que j’ai prise en lisant Un feu sur l’abîme de Vinge. Mais c’est aussi le côté froid et glacé de L’espace de la révélation de Reynolds. C’est une émotion. Et je reproche au Melkine d’en être dépourvu.
      Pour ce qui est de la lenteur, je n’ai rien contre ça en soit, c’est génial chez Haruki Murakami. Mais Murakami a autre chose m’offrir à côté et le reproche que je fais justement au Melkine c’est de ne rien avoir eu à m’offrir.

      1. L’envie d’étoile, elle est en nous avant tout. J’avais lu la nouvelle du même auteur parue dans « Destination univers » avant de lire ce livre et j’ai ressenti exactement la même chose, ce désir, ce besoin d’aller ailleurs. Ce n’est pas tant la vue des étoiles qui m’a émue que de trouver un besoin similaire au mien chez une autre personne. Disons que ce que j’ai aimé dans ce livre, c’est d’y retrouver cette sensation que j’ai quand je regarde les étoiles. Non pas de les voir mais de retrouver chez d’autres ce besoin de les voir donc. Argh, c’est difficile à expliquer, encore plus si tu ne l’as pas toi-même ressenti.

        « Universal War One » (zut, je ne suis pas sûre que ce soit la même BD, j’avais l’impression que c’était Two, je ne sais pas du tout pourquoi), j’ai essayé mais je n’ai pas accroché. Ce genre-là ne me fait pas rêver par contre. En fait, le space opera tel que je l’ai déjà rencontré a rarement réveillé mes envies d’étoiles. Juste Marion Zimmer Bradley quand j’étais ados et Ursula Le Guin ont su me donner la même envie. J’ai été insensible à des Peter Hamilton ou Ian M. Banks pour tout dire (jamais terminé les livres que j’ai commencé d’eux)(oui, je suppose que ça fait de moi une mauvaise amatrice de SF ^_^).

        Du coup, oui, tu n’as pas trouvé d’émotions dans « Le Melkine ». Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y en a pas, je te promets que certains passages m’ont fait frémir. Parce que c’est plus de ce genre de contemplation-là dont j’ai besoin, peut-être. En tout cas, de mon côté, je n’ai pas trouvé ça niais. Naïf, peut-être qui sait, peut-être le suis-je d’ailleurs aussi (je dis ça sérieusement). Mais niais, ou vain, non. J’y ai trouvé ce que je recherchais, du coup j’en suis bien contente ^_^. Mais bon, notons que je ne suis pas forcément cliente des space operas à la base. Non que je n’aime pas ça, mais je n’ai aucune patience pour des trucs à la David Weber. Le « sense of wonder », je le trouve plus dans un « Destination Univers » ou dans un « Contact » (livre ou film). Ceci expliquant d’ailleurs peut-être cela, je ne sais pas, je ne connais pas assez les auteurs que tu cites pour m’en rendre compte.

        1. Je comprend très bien l’envie d’étoile, ou le contemplatif d’ailleurs, là n’est pas le problème. Le problème c’est que pour moi Le Melkine en est dépourvu, tout simplement.
          Contact est justement l’exemple du livre qui a tout ce qui fait défaut au Melkine : le sens of wonder, l’émotion, l’intelligence, etc.

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