L’homme qui mit fin à l’histoire, de Ken Liu

La novella, que certains appellent « court roman » en français, est une forme assez peu utilisée dans l’édition en France (en dehors des œuvres d’Amélie Nothomb). Ce format est plus employé dans le monde anglophone de l’imaginaire et c’est avec un intérêt certain que j’ai vu arriver au début de cette année la collection Une Heure-Lumière aux éditions du Bélial : une collection dédiée aux novellas. Et j’ai décidé de tester cette collection avec L’homme qui mit fin à l’histoire de Ken Liu, l’un des auteurs d’imaginaires qui montent ces dernières années outre-Atlantique.

En faisant usage de nouvelles particules, deux scientifiques peuvent accéder au passé et proposent de revivre des moments de l’histoire. Le procédé a cependant un défaut : un même moment ne peut être observé qu’une seule fois. Et l’événement sur lequel ils choisissent de se concentrer est propice à attiser les flammes entre Chine et Japon : l’unité 731.

L’idée de départ de Liu est intéressante : permettre d’assister à un moment passé de façon directe. Voilà l’occasion de résoudre bien des mystères qui passionnent les historiens et les amateurs. L’idée a déjà été utilisée par le passé, notamment dans Lumière des jours enfuis d’Arthur C. Clarke et Stephen Baxter. Mais Liu propose un corollaire : on ne peut regarder un moment précis du passé qu’une seule fois. Tout comme dans l’archéologie, cette approche a un effet destructeur. On ne peut donc disposer que d’un seul observateur sur une période donnée. Autrement dit, un événement historique ne peut avoir qu’un témoin par ce procédé et un seul. Les adversaires d’une thèse historique peuvent donc la contester tout aussi facilement que par le passé en réfutant simplement le témoignage de l’observateur, surtout si ce dernier n’est pas lui-même historien. Quand on voit comment certains négationnistes n’hésite pas à traiter de mensonger les témoignages des survivants de la Shoah, on peut s’attendre à tout en la matière. On peut même accuser l’observateur d’avoir sciemment « détruit » l’histoire en rendant impossible une nouvelle observation de l’événement en question. Le problème du témoignage n’apparait pas seulement par l’intermédiaire du procédé qu’imagine Liu mais aussi par celui de participants de l’événement historique étudié. Là aussi, la remise en cause est aisée pour qui ne veut pas accepter les faits.

Avec l’unité 731, Ken Liu a choisi un thème difficile et peu connu en Europe. Le témoignage de l’un des membres de l’unité pourra heurter certains lecteurs. Pas seulement par l’horreur des événements décrits mais aussi par la froideur clinique du ton. On retrouve un peu le côté glacial de La mort est mon métier, l’un des grands romans de Robert Merle. Ce sujet polémique, qui reste une pierre d’achoppement encore aujourd’hui entre la Chine et le Japon et le restera probablement encore longtemps, est aussi une occasion de critiquer l’attitude a posteriori des différents intervenants. Les deux puissances asiatiques bien évidemment, mais aussi les États-Unis dont le rôle n’a pas été neutre dans cette affaire et dans son « règlement ».

Le récit est composite, Ken Liu proposant des extraits d’entretiens avec certains personnages, de comptes-rendus d’audition ou de témoignages de gens ordinaires. Ceci permet d’aborder différents aspects du problème sans trop étendre le texte. Le côté technique est juste assez développé pour donner un minimum de vraisemblance à la chose mais pas trop ce qui lui évite de parasiter le propos. La petite postface de l’auteur apporte d’ailleurs un supplément de crédibilité au récit et sa façon de présenter le problème.

Avec L’homme qui mit fin à l’histoire, Ken Liu offre un texte qui nous propose de réfléchir à la difficulté d’établir la réalité d’un fait historique. On constatera que le principal écueil n’est finalement peut-être pas de disposer de témoignages et de preuves factuelles, mais tout simplement de savoir les accepter, surtout si elles ne vont pas dans le sens de ce que l’on veut entendre. De plus, si on accepte les faits historiques que présente Liu, on peut néanmoins se demander ce que personnellement l’on rejette par facilité et non par raisonnement. Bref, le problème de la véracité historique, surtout concernant des sujets qui peuvent être instrumentalisés, ne semble pas avoir de solution satisfaisante. Par contre, le talent de Liu m’invite à en lire plus.

lhomme-qui-mit-fin-a-lhistoireL’homme qui mit fin à l’histoire (The Man Who Ended History: A Documentary)
de Ken Liu
traduit par Pierre-Paul Durastanti
illustration d’Aurélien Police
éditions Le Bélial
112 pages (petit format)

disponible en numérique chez 7switch

Retour au sommaire

Une réflexion sur « L’homme qui mit fin à l’histoire, de Ken Liu »

  1. Je vois que ce roman fait l’unanimité! Et pour une fois, je suis entièrement en accord avec l’unanimité! Cest rare alors faut le signaler… lol

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *